web counter

LIBRAIRIE FRANÇAISE

HISTORIE DIVINE DE JÉSUS CHRIST

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

 

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.

 

LIVRE TRENTE-QUATRIEME.

LÉON, MAJORIEN, SÉVÈRE II.

 

Marcien laissait l'empire tranquille et florissant. Il avait rétabli entre toutes les parties du gouvernement cette heureuse harmonie qui fait la prospérité des états. Les peuples écoutaient les magistrats comme la voix du prince; ceux-ci n’excédaient pas les bornes de leur pouvoir; les gens de guerre attendaient les décisions du sénat, et le sénat était parfaitement uni. Aspar, qui, sous un prince faible, aurait été trop puissant, avoit conservé son crédit sans oser en abuser. Après la mort de Marcien, son ambition le sollicitait vivement de s’emparer de l’empire; mais, étant Alain de naissance, et arien de religion, très obstiné dans son erreur, il n’espérait pas pouvoir réunir les suffrages. Il aima mieux faire un empereur, sous le nom duquel il se  flattait de régner. Il jeta les yeux sur Léon, simple tribun, qui commandait à Séiymbrie, et qui lui devait sa fortune, ayant d’abord été intendant des domaines d’Aspar, et ensuite avancé aux emplois militaires par la faveur de ce général. Mais l’exemple de Marcien, qui, après avoir été attaché à son service, s’était montré son maître lorsqu’il fut devenu empereur, l’engagea à faire ses conditions. Il avait trois fils, Ardabure, Patrice et Ermenaric : il tira promesse de Léon, qu’il en élèverait un à la dignité de César. Le tribun promit tout ce qu’on voulut ; et Aspar, ayant ménagé les esprits des sénateurs, le fit proclamer empereur, le septième de février, dans l’Hebdome, en présence de l’armée, qui accepta volontiers pour maître celui que le sénat paraissait avoir choisi. Léon reçut la couronne des mains du patriarche Anatolius; c’est le premier souverain qui ait été couronné par un évêque. Il ne paraitpas qu’on ait fait alors aucune mention d’Anthémius, mari d’Euphémie, fille de Marcien, quoique son beau-père l’eût revêtu des premières dignités en le faisant consul en 455, maître de la milice, et enfin patrice. Le nouvel empereur ne conçut même de lui aucune jalousie; il l’employa dans plusieurs guerres, et le favorisa dans la suite de tout son pouvoir pour l’élever sur le trône d’Occident.

Léon était né dans la Dace d'Illyrie, ou dans le pays des Besses, hahitans du mont Hæmus. Aussi est-il communément nommé Léon de Thrace. Il était d’une taille fort mince et fort déliée. Il avait de l’esprit, de la prudence, des mœurs irréprochables. Son zèle pour la doctrine catholique, son respect pour les évêques qu’il consultait, et pour le fameux solitaire Daniel, qui vivait sur une colonne près de Constantinople; sa magnificence dans la fondation de plusieurs églises, lui ont mérité de grands éloges de la part des papes et des prélats de son temps. Quoiqu’il fût absolument sans étude, il estimait les savants, et l’on dit qu’ayant accordé une pension à un philosophe célèbre, nommé Eulogius, comme un de ses eunuques lui représentait que cet argent serait mieux employé à payer les soldats : Plût à Dieu, dit-il, que je fusse assez heureux pour n’avoir à payer que les gens de lettres! Il avait coutume de dire que le prince doit ressembler au soleil, qui répand sa chaleur bienfaisante sur tout ce qu’il éclaire. Un auteur qui ne lui est postérieur que d’un demi-siècle fait de ce prince un portrait affreux. Si ou veut l’en croire, Léon fut un monstre d’avarice et de cruauté : il envahissait les biens de ses sujets, subornant des délateurs à gages, et supposant lui-même de faux crimes, lorsqu’il ne trouvait pas de délateurs. Il entassait dans ses trésors l’or de tout l’empire; et, dépouillant les provinces de l’opulente dont elles avoient joui sous le règne de Marcien, il les mettait hors d’état de payer les contributions ordinaires. On ajoute qu’il était inexorable dans sa colère, et que la flatterie, qu’il aimait autant que les bons princes la détestent, était l’unique moyen de l’apaiser. Si ces traits odieux sont conformes à la vérité, du moins lui eut-on l’obligation d’être seul méchant, et de retenir le caractère violent et emporté de sa femme Vérine. Tant qu’il vécut, cette princesse hypocrite parut s’éloigner des affaires pour se renfermer dans les exercices de piété. Dès qu’il fut mort, elle troubla l’empire par une ambition démesurée, et elle le déshonora par ses débauches.

Aspar, qui avait placé Léon sur le trône, s’attendait bien à disposer à son gré de lempereur et de lempire. Il le sommait sans cesse de la parole qu’il lui avait donnée de nommer César un de ses trois fils. Mais Léon voulait régner, et différait toujours d’exécuter cette promesse. Un jour qu’Aspar le pressait avec importunité, et que, prenant en main un pan delà robe impériale, il lui disait : Couvient-il à celui qui porte cette pourpre de manquer à sa parole ? Il lui convient encore moins, repartit Léon, de souffrir qu'on lui fasse la loi comme à un esclave. Le récit de Cédrène est différent. Il raconte qu’Aspar ayant tiré de l'empereur à force d’importunité une promesse de conférer à un homme de sa secte la préfecture de Constantinople, Léon, dès la nuit suivante, en revêtit un catholique; ce qui attira la plainte et la réponse qui viennent d’être rapportées. La première année du règne de ce prince fut signalée par un succès éclatant des armes romaines : mais toutes les circonstances du fait sont restées dans l’obscurité. On ignore jusqu’au nom du peuple vaincu. Tout ce qu’on sait, c’est qu’une nation barbare, s’étant jet ce dans la province de Pont avec une armée innombrable, y fut entièrement défaite. D’un autre côté , les Sarrasins pillèrent la ville de Beihsur en Mésopotamie. Les habitants étaient la plupart idolâtres, et adoraient Vénus, la grande divinité des Arabes.

En cette même année Alexandrie vit dans son enceinte une de ces sanglantes tragédies qui ne ce renouvelaient que trop souvent dans cette ville séditieuse. Dioscore, condamné par le concile de Chalcédoine, ayant été relégué à Gangres en Paphlagonie, Protérius avait été élu pour remplir sa place. Cette élection souleva les sectateurs d’Eutychès qui se trouvaient en grand nombre dans Alexandrie. Ils attaquent les magistrats, accablent de pierres les soldats qui accouraient pour dissiper les séditieux, et les obligent de se réfugier dans un ancien temple. On y met le feu; les soldats y sont brûlés vifs avec l’édifice. Marcien, qui régnait alors, informé de cette révolte, fit embarquer deux mille hommes, qui arrivèrent le sixième jour dans le port d’Alexandrie. Ces troupes, envoyées pour contenir les mutins, augmentèrent le désordre par les violences qu’elles exercèrent sur les femmes et sur les filles, comme dans une ville prise d’assaut. Florus, qui commandait dans Alexandrie, retrancha les distributions de blé, ferma les bains publics, interdit les spectacles; et, comme les séditieux avaient menacé d’arrêter le convoi qui partait tons les ans pour Constantinople, l’empereur ordonna de faire descendre par le Nil tout le blé de l’Egypte à Péluse, et non pas à Alexandrie; ce qui causa la famine, et réduisit ce peuple insolent à recourir aux larmes et aux prières. Florus se laissa fléchir; et, ayant obtenu grâce de l’empereur, il rendit aux habitants tout ce qu’il leur avait ôté.

Quatre années se passèrent sans révolte ouverte des hérétiques, mais non pas sans alarmes de la part de Protérius. Enfin la nouvelle de la mort de Marcien ranima l'audace du parti de Dioscore. Pendant que Denys, préfet d’Egypte, était occupé dans la Thébaïde, ils se soulèvent, élisent pour évêque Timothée Elure, et le font sacrer par deux prélats excommuniés. Ce Timothée était un moine qui, s’étant séparé des catholiques après la condamnation de Dioscore, s’était mis à la tête de quelques autres moines infectes, ainsi que lui, des erreurs d’Eutychès. Il était soutenu de quatre ou cinq évêques condamnés par un concile, et exilés par ordre de Marcien. Cet imposteur, pour grossir son parti, rôdait de nuit autour des cellules des moines, et, leur parlant an travers d’une canne creuse, il les appelait par leur nom, se disant un ange envoyé de Dieu pour leur ordonner de rejeter le concile de Chalcédoine et de placer sur le siège d’Alexandrie Timothée, son serviteur. A la première nouvelle de ces troubles, Denys revint en diligence, et trouvant que Timothée était alors absent d’Alexandrie, il l’empêcha d’y rentrer. Aussitôt les partisans de celui-ci deviennent furieux; ils courent en foule à l’église où l’évêque célébrait les saints offices : c’était le 28 de mars, jour du Jeudi saint. Protérius se réfugie dans le baptistère; on le poursuit, on le massacre cruellement avec six de ses prêtres; et, après l’avoir exposé aux insultes des hérétiques dans un lieu nommé Tétrapyle, on traîne son cadavre par les rues. La rage des meurtriers s’emporte jusqu’à dévorer une partie de ses entrailles: on brûle le reste, et on en jette les cendres au vent.

Le récit de ces horreurs fit frémir les deux empires. Léon, dès les premiers jours de son règne, avait montré son attachement à la foi catholique, en écrivant aux métropolitains pour confirmer les ordonnances de ses prédécesseurs, et, en particulier, celles de Marcien en faveur du concile de Chalcédoine. Plusieurs évêques orthodoxes allèrent à Constantinople porter leurs plaintes à l’empereur, des violences exercées à Alexandrie. Quatre prélats hérétiques s’y rendirent aussi avec des lettres de Timothée. Les deux partis présentèrent leur requête. Les schismatiques demandaient un nouveau concile, et les orthodoxes ne s’y opposaient pas, quoi­qu’ils déclarassent qu’ils ne le jugeaient pas nécessaire. L’empereur, pour ne point s’ériger en juge de la foi, ni de la discipline ecclésiastique, écrivit une lettre circulaire à tous les évêques des grands sièges, les priant d’assembler leurs suffragants, et de lui mander leurs avis sur le concile de Chalcédoine et sur l’ordination de Timothée. Il consulta même plusieurs solitaires célèbres par leur sainteté; et, comme il ne rejetait pas la proposition d’un nouveau concile, il écrivit au pape Léon pour l’inviter à se rendre en Orient. Le pape lui répondit sur-le-champ que la cause avait été jugée sans retour à Chalcédoine, et que, renouveler les disputes au gré du parti condamné, c’était les rendre interminables. Il ne voulut pas même dans la suite consentir à une conférence demandée par les partisans de Timothée. Tous les métropolitains, à l’exception d’un seul, firent à l’empereur la même réponse; que les décisions du concile de Chalcédoine étaient saintes et irrévocables; qu’il n’était pas besoin d’un nouveau concile; que Timothée n’était qu’un hérétique meurtrier, qui, loin d’avoir aucun droit sur l’église d’Alexandrie, ne méritait que des châtiments. Léon, assuré par ce concours unanime, envoya le duc Stylas pour punir les coupables et chasser l’usurpateur, qui persécutait les catholiques avec une extrême cruauté. Le duc fit couper la langue à ceux qui avoient eu part au meurtre de Protérius. Timothée obtint la permission de venir à Constantinople. Il était appuyé de la protection d’Aspar et de celle de Basilisque, frère de l’impératrice Vérine, et attaché dans le cœur aux sentiments d’Eutychès. Mais les remontrances de saint Léon, qui se hâta de prévenir le prince, eurent plus de succès que les intrigues et les artifices. Timothée fut relégué à Gangres, où Dioscore avait fini sa vie; et comme il continuait d’y dogmatiser et d’y exciter des troubles, Léon donna ordre de le conduire à Chersone, ville de la Chersonèse Taurique, que les Grecs avoient nommée autrefois Héraclée. Il y fut retenu sous bonne garde jusqu’à ce que Basilisque, étant devenu maître de l’empire, le rappela, ainsi que je le rapporterai dans la suite. On plaça sur le siège d’Alexandrie un autre Timothée, surnommé Solofaciole, qui ne ressemblait que de nom à ce scélérat. Cette grande affaire, que nous avons racontée sans interruption, ne fut terminée qu’en 460.

Depuis la mort d’Avitus, Marcien, et après lui Léon, avaient le titre de souverains en Occident; mais la puissance réelle était entre les mains de Ricimer. Etant né Suève, il ne pouvait se flatter d’obtenir jamais la dignité impériale; mais il pouvait la donner. Julius Valérius. Majorianus, connu par sa valeur et par ses autres qualités éminentes, était lie d’amitié avec ce barbare. Il avait pris part à sa révolte contre Avitus. Ricimer se persuadait qu’un guerrier sans expérience dans la conduite des affaires se regarderait toujours comme sa créature, et se gouvernerait en tout par ses conseils. Il songea donc à l’élever à l’empire. Afin de lui en ouvrir le chemin, il obtint pour lui-même de Léon le titre de patrice, et pour Majorien celui de général des troupes d’Occident. Ces deux dignités leur furent conférées le même jour, vingt-huitième de février. Majorien eut aussitôt occasion d’exercer le pouvoir que lui donnait sa charge. Ayant appris que neuf cents Allemands étaient descendus dans la Rhétie, et qu’ils ravageaient les plaines nommées Campi canini, dans le pays des Lépontiens, près du lac Verlanus, dit aujourd’hui le lac Majeur, il envoya contre eux un officier nommé Burcon, qui les tailla en pièces. Cependant Ricimer disposait les esprits à seconder ses intentions. Il obtint l’agrément de Léon; et, vers la fin de celte année, Majorien, du consentement de tous les ordres de l’état, fut proclamé Auguste dans une campagne appelée les petites colonnes, à deux lieues de Ravenne.

Ricimer avait mieux choisi qu’il ne désirait. Majorien avait trop de mérite pour faire sur le trône un rôle subalterne. Il s’était instruit du métier de la guerre sous les ordres d’Aétius; et, après s’être distingué dès l’an 438 dans un combat contre les Francs , il avait continué de se signaler dans toutes les guerres. Il s’était formé aux vertus civiles sous un maître encore plus capable de donner de bonnes leçons; c’était la disgrâce. Banni de la cour par la mortelle jalousie de la femme d’Aétius, et retiré dans ses terres , il avait eu le loisir de réfléchir sur les obstacles que rencontre la vérité pour pénétrer jusqu’aux oreilles des souverains, sur les cabales qui leur font perdre leurs plus utiles serviteurs, sur la misère des peuples dévorés par ceux qui sont commis pour les gouverner, les juger et les défendre, et sur tant d’autres objets, que les nuages qui environnent le trône dérobent à la vue des princes. Né avec un esprit supérieur, toujours occupé de grands desseins, aussi constant que vif à les poursuivre, actif, infatigable, intrépide, la puissance souveraine lui donna le moyen de développer tout ce qu’il avait de talents et de vertus. Il se rendit, par ses qualités guerrières, formidable aux ennemis de l’empire. Sa bonté, sa libéralité , sa franchise, et cette gaîté noble, qui, sans se rabaisser, porte la joie dans tes cœurs, le rendait cher à ses sujets. A ces qualités de l’âme il joignait celles du corps, la force, l’agilité, l’adresse dans tous les exercices. Il semblait que la Providence l’eût réservé pour relever l’empire penchant vers sa ruine ; elle avait réuni dans sa personne les vertus de ses prédécesseurs, sans mélange d’aucun de leurs vices.

Valentinien avait laissé l’état dans un grand désordre. Les deux régnés suivants avoient passe comme deux orages. Les provinces se dépeuplaient, les hommes puissants tyrannisaient les peuples, et les impôts publics achevaient de les dépouiller. La misère, qui engendre les mêmes crimes que l’excessive opulence, avait entièrement corrompu les mœurs. Majorien se proposa de remédier à ces maux. Il rétablit dans chaque ville des défenseurs pour mettre les faibles à couvert de l’oppression, selon l’institution de Valentinien Ier, et publia de sages règlements pour rendre aux corps municipaux leur ancienne splendeur. Il fit une remise générale de ce qui était dû au fisc jusqu’au commencement de son règne, et ordonna que les impôts fussent désormais levés par les gouverneurs de provinces, et non par les officiers du fisc, qui s’étaient fait un art de ruiner les peuples à force d’exactions. Le zèle de Majorien pour l’honneur de la religion lui fit jeter les yeux sur les monastères. Il fut touché de compassion d’y voir tant de victimes de l’indigence ou de l’ambition de leurs parents, qui, pour avantager leurs autres enfants, forçaient la vocation de leurs filles, et les renfermaient, dès leur première jeunesse, dans ces prisons sacrées, qu’elles déshonoraient souvent par leurs désordres. Plein de respect pour la vie religieuse, il voulut qu’elle ne fût embrassée qu’avec une entière liberté, et après une mûre délibération. A cet effet, il défendit de donner le voile aux religieuses avant l’âge de quarante ans, et ordonna que les parents qui les engageraient avant cet âge fussent privés du tiers de leurs biens; et que les diacres qui auraient prêté leur ministère fussent proscrits. Il traite, dans sa loi, cette violence de parricide, et permet aux filles qui l’ont éprouvée de rentrer en possession de leurs droits, et de se marier lorsqu’elles deviendront libres par la mort de leurs pères, pourvu qu’elles n’aient pas encore atteint l’âge de quarante ans. Par un semblable motif, il défend dans une autre loi de forcer personne à entrer dans l’état ecclésiastique, et il permet à ceux qui auront souffert cette contrainte de se pourvoir par-devant les juges civils, pour être relevés de leur engagement. L’archidiacre sera condamné à dix livrés d’or, au profit de celui qu’il aura forcé, et l’évêque sera envoyé au pape pour être puni. S’il y a collusion de la part des pères et des mères, ils sont condamnés à céder à ce fils le tiers de leurs biens. Majorien excepte nommément ta violence faite à quelqu’un pour le contraindre d’accepter l’épiscopat: il savait trop bien qu’on n’est obligé d'y forcer que ceux qui le méritent davantage. Il défend, sous peine de mort, d’arracher de l’asile de l’église ceux qui s’y sont réfugiés. Il renouvelle les peines prononcées par ses prédécesseurs contre le rapt des filles consacrées à Dieu. Dans la loi qui favorise la liberté des vœux, il réforme aussi les abus de la viduité. Entre les veuves il distingue celles qui ne se remarient point par tendresse pour leurs enfants de celles qui, n’ayant point d’enfants de leur mariage, ne restent dans la viduité que pour mener une vie plus libre. Il loue les premières, et leur laisse la liberté de demeurer veuves. Mais il veut que les autres, si elles sont au-dessous de quarante ans, soient obligées de se remarier dans l’espace de cinq ans après la mort de leur premier mari, ou de céder la moitié de leurs biens à leurs héritiers naturels, si elles en ont; au fisc, si elles n’en ont pas. Il ôte aux mères le pouvoir d’avantager un de leurs enfants au préjudice des autres, ce qui leur était permis par les lois précédentes. Il veut que, si celles qui ont des enfants laissent en mourant leur bien à l’église, ou à des héritiers étrangers, sans cause légitime d’exhérédation de leurs enfants, le testament soit nul. Pour diminuer cette avidité, si voisine de la friponnerie, qui sait, par de légères amorces, attirer de riches héritages, il ordonne que quiconque sera institué héritier ou légataire sans y avoir un droit naturel sera obligé de rendre au fisc le tiers de ce qui lui aura été laissé. Rogatien, gouverneur de Toscane, avait relégué pour un temps un homme convaincu d’adultère: celui-ci n’ayant point obéi à la sentence, Majorien fut consulté, et répondit que la peine imposée était trop légère pour un crime si énorme : il enchérit en ce point sur les lois de ses prédécesseurs, ordonnant que le coupable soit banni à perpétuité hors de l’Italie entière, et que tous ses biens soient confisqués; s’il ne garde pas son ban, l’empereur permet à quiconque le reconnaîtra de le tuer, même dans l’enceinte de la ville de Rome; et il veut que cette sentence tienne lieu de loi perpétuelle, pour faire connaitre, dit-il, que l'honneur du mariage est sous la garde publique. Telles sont les lois de Majorien. Sévère, son successeur, jugea à propos d’abolir la plus célèbre, celle qui concernait la liberté des religieuses et le mariage des veuves. Il y a cependant beaucoup d’apparence que la loi qui défend de donner le voile aux filles avant qu’elles aient atteint l’âge de quarante ans avait été publiée par le conseil de saint Léon. Ce pape , si sage et si éclairé, en fit, par une ordonnance expresse, un point de discipline ecclésiastique.

Les meilleures lois deviennent inutiles quand le prince ne sait pas choisir ceux qui sont chargés de les faire exécuter. Majorien fut secondé par des officiers d’un grand mérite, soit dans l’ordre civil, soit dans l’ordre militaire. On ne peut lui faire honneur de ce qu’il nomma Ricimer au commandement des armées: ce choix était indispensable; il devait la couronne à ce guerrier; et dès qu’il fut empereur , il lui rendit la charge de général, que Ricimer lui-même lui avait auparavant procurée. On fait de grands éloges d’un secrétaire nommé Pierre, auquel il donna sa confiance, et qui joignait à une probité irréprochable des connaissances fort étendues, et le talent de bien écrire en prose et en vers. Egidius, fameux dans les annales de notre nation, commanda les troupes de la Gaule, où il était né. Il tirait, ainsi que Ferréol, son origine de Syagrius, consul en 382. Cet Egidius inspira aux Francs une si haute estime de son courage, qu’ils le choisirent pour leur roi, comme nous le dirons en son lieu. Marcellin, dont nous avons déjà parlé, n’était pas moins recommandable par ses talents militaires. Majorien lui conféra la dignité de patrice, et l’envoya à la tête d’un corps de Goths en Sicile, pour mettre cette île à couvert des incursions de Genséric. Magnus était encore un des plus accrédités à la cour de Majorien. Né à Narbonne, il descendait de Philagre, préfet d’Orient en 382. Sidonius lui attribue les qualités les plus estimables. Il fut fait préfet des Gaules sur la fin de l’année suivante, à la place de Pœonius, qui, par une hardiesse singulière, s’était emparé de cette charge.

Ce Pœonius, dont nous avons fait mention au sujet not. des complots de Marcellin, voyant celui-ci découragé par tant de révolutions subites, n’osa prendre sa place et aspirer à l’empire. Ce n’est pas qu'il manquât ni d’ambition ni de richesses. Il amassait beaucoup d’argent par une épargne sordide, et le prodiguait ensuite pour s’élever. Il avait de plus cette affabilité grossière, et ce langage populaire si propre à gagner la multitude, et à exciter la sédition. Mais la bassesse de sa naissance lui parut un obstacle invincible. Après la mort d’Avitus, il se contenta de profiter de l’interrègne, pour se déclarer préfet des Gaules, de sa seule autorité. Majorien, élevé à l’empire, craignit de causer une guerre civile s’il entreprenait de le dépouiller. Il prit le sage parti de lui envoyer le brevet de cette charge, et lui en laissa l’exercice pendant une année entière, après laquelle sa puissance étant affermie, il lui donna Magnus pour successeur. Cette habileté du prince lui gagna le cœur de Pœonius, dont la vanité satisfaite ne songea plus qu’à jouir de la considération que lui laissait le titre d’ancien préfet.

La nouvelle de la déposition d’Avitus, bientôt suivie de celle de sa mort, affligea sensiblement Théodoric. Il aimait tendrement ce prince; il l’avait élevé à l’empire, et jugea bien que celui qui profiterait des dépouilles d’Avitus se déclarerait ennemi des Visigoths. II résolut de terminer au plus tôt les affaires d’Espagne pour retourner dans ses états. Pendant l’hiver qu’il passa en Lusitanie , il y ruina beaucoup de villes, et réduisit, par un siège, Mérida, capitale de la province. Il en sortit au commencement d’avril pour repasser en Gaule; et, comme il apprenait qu’Agiulfe, qu’il avait laissé en Galice, s’était joint aux Suèves, et se faisait reconnaître pour souverain, il détacha une partie de son armée sous la conduite de ses meilleurs capitaines, avec ordre de marcher contre le rebelle, et de lui ôter la vie. Ces troupes étant arrivées devant Astorga, qui tenait pour les Romains, se présentèrent comme des alliés qui demandons seulement le passage, pour aller faire la guerre aux Suèves, leurs communs ennemis. Mais, dès qu’elles furent entrées, elles firent bien connaitre qu’il n’y avait plus d’alliance entre les Romains et les Visigoths. Au signal donné, elles massacrent les habitants sans distinction, forcent les églises, enlèvent les vases sacrés, renversent les autels. Deux évêques, qui se trouvaient dans la ville, sont emmenés prisonniers avec leur clergé : on met le feu aux maisons, et on ravage toute la campagne d’alentour. Palentia n’est pas mieux traitée. Mais les Visigoths, ayant assiégé le château de Caviac, à dix lieues d’Astorga, y consumèrent beaucoup de temps, et furent obligés de se retirer avec une perte considérable. Ils continuèrent leur marche pour aller chercher Agiulfe. Ce perfide ayant été défait et pris dans une bataille, eut la tête tranchée à Portucal, au mois de juin, et cette armée de Visigoths retourna en Aquitaine. Les Suèves, qui avoient suivi le parti d’Agiulfe, se divisèrent en deux factions ; les uns se soumirent à Maldra, qui avait succédé à Réchiaire; les autres se donnèrent un roi, nommé Frantane. Maldra entra en Lusitanie, et s’empara de Lisbonne.

An. 458.

Frantane étant mort l’année suivante, tous les Suèves se réunirent sous le commandement de Maldra, et ravagèrent les bords du fleuve Douro. Les conquêtes de Théodoric étaient presque entièrement perdues pour les Visigoths: mais ce prince n’avait pas renoncé au dessein de s’emparer de l’Espagne. Il y envoya une armée sous la conduite de Cyrila, qui pénétra jusque dans la Bétique. Peu de temps après, Cyrila fut rappelé, et Suniéric alla prendre sa place avec de nouveaux renforts. Les Suèves continuaient leurs ravages; et tandis que Maldra désolait la Lusitanie, Rémismond, son fils, achevait de ruiner ce qui appartenait aux Romains dans la Galice. Une troupe d’Hérules vint encore accroître ces désordres. Ayant débarqué sur les côtes de Galice, ils commirent d’horribles cruautés aux environs de Lugo, traversèrent toute l’Espagne, et s’avancèrent jusque dans la Bétique, où ils furent apparemment exterminés par Suniéric, car l’histoire n’en parle plus. Portugal tenait encore plus les Visigoths; Maldra s’en rendit maître; mais les habitants du pays, irrités du meurtre de quelques seigneurs, se révoltèrent contre lui, et ce prince cruel, qui avait fait assassiner son propre frère, fut lui-même massacré la troisième année de son règne. Ce n’était dans cette malheureuse contrée que ravages, perfidie, cruauté. Les Suèves habitaient la ville de Lugo, conjointement avec les Romains originaires, qui avoient leur chef particulier. Pendant les fêtes de Pâques les Suèves se jetèrent sur les Romains, qui ne songeaient qu’à célébrer ces saints jours, et les égorgèrent avec leur chef. Népotien, général des armées de Théodoric, était venu joindre Suniéric dans la Bétique; ils envoyèrent une partie de leurs troupes à Logo pour y surprendre les Suèves. Mais des traîtres qui se trouvaient dans ce détachement ayant donné avis de leur marche, ils revinrent sans avoir rien fait que quelque pillage. Quoique la Galice ne fût plus qu’un monceau de cendres et de ruines, Rémismond et Frumaire s’en disputaient la souveraineté, et s’efforçaient de la mériter par de nouveaux ravages. Frumaire, d’intelligence avec de perfides habitants, s’empara de Chiaves. Il fit prisonnier Idace, évêque de cette ville, et auteur de la chronique qui nous instruit de tous ces événements. Ce prélat trouva moyen, trois mois après, de se retirer des mains des Suèves, et de revenir à Chiaves. Rémismond, de son côté, désolait le territoire de Lugo et d’Orence. Cependant Suniéric poussait ses conquêtes; il se rendit maître de Scalabis, aujourd’hui Santaren, sur le Tage. Pendant la confusion de ces guerres, la paix se renouvelait de temps en temps entre les Suèves et les Visigoths, pour être aussitôt rompue. On ne cessait de voir des députés passer de Galice en Aquitaine, et d’Aquitaine en Galice, pour porter de part et d’autre des propositions d’accommodement. Ce détail renferme tout ce qu’on sait de ces guerres jusqu’à la mort de Majorien.

Les deux empereurs ayant pris le consulat, selon la coutume, pour l’année 458, la première qui commençait depuis leur avènement à l’empire, Majorien, qui était encore à Ravenne, écrivit au sénat une lettre remplie de modération et de sagesse. « Souvenez-vous (dit-il aux sénateurs ) que par une élection absolument libre, de concert avec notre invincible armée, vous m’avez conféré la dignité impériale. Je ne l’ai acceptée que pour obéir à la voix publique, ne voulant pas vivre pour moi seul, ni me montrer ingrat envers la patrie, à laquelle je dois tout ce que je suis. Veuille la divine Providence justifier votre choix en m’accordant des succès pour votre avantage et pour celui de l’état! Le jour des calendes de janvier, j’ai pris, sous d’heureux auspices, les faisceaux consulaires, afin que la présente année, ajoutant ce nouvel honneur à notre empire naissant, soit marquée de notre nom. Aidez de vos conseils celui que vous avez fait empereur. Agissons de concert pour le salut et l’honneur de l’empire. Soyez assurés que je ferai régner la justice, et que les récompenses seront réservées à la vertu. Qu’on ne craigne point les délateurs; je les ai condamnés lorsque j’étais particulier; il ne me reste qu’à les punir. La calomnie ne pourra nuire qu’à celui qui en sera l’auteur. J’aurai soin des affaires militaires avec mon père , le patrice Ricimer. Fasse le ciel que, par notre commune vigilance, l’empire romain ne reçoive aucune atteinte, ni des ennemis étrangers, ni de ceux qui attaquent sa constitution intérieure! Je me flatte que vous rendez justice à la pureté de mes intentions. Après avoir partagé vos périls et vos inquiétudes, j’ose me promettre votre attachement. Pour ce qui regarde les affaires publiques, vous trouverez en moi l’autorité d’un empereur, avec la déférence d’un collègue; et si le ciel seconde mes désirs, j’espère ne pas démentir le jugement que vous avez porté en ma faveur.»

Le secours que ce prince religieux attendait de la divine Providence ne lui manqua pas au besoin. Les. côtes de la Campanie furent attaquées par une flotte nombreuse, chargée de Vandales et de Maures. Elle était commandée par Sersaon, beau-frère de Genséric. Les Maures débarquèrent entre le Liris et le Vulturne, et se mirent à piller le territoire de Sinuesse, qui s’étendit de la mer au mont Massique. Les Vandales, demeurant dans leurs vaisseaux, attendaient tranquillement le butin que les Maures dévoient leur apporter. Pour garantir de ces pillages si fréquents les côtes de l’Italie, Majorien avait disposé des corps de troupes qui, de poste en poste, pourvoient aisément se réunir et défendre l’endroit attaqué. A l’approche des barbares, un corps nombreux de Romains se trouva bientôt rassemblé près de Sinuesse. Ils fondirent sur les Maures; et, leur ayant coupé le retour vers la mer, ils les chassèrent vers les montagnes. Les Vandales, pour courir au secours de leurs gens, sortent de leurs vaisseaux. Il se livre un combat sanglant où les Vandales sont défaits et forcés de regagner la mer en désordre, laissant sur le champ de bataille Sersaon percé de coups. On fit encore un plus grand carnage des Maures, qui furent assommés dans les montagnes.

L’unique moyen de faire cesser ces ravages était d’aller attaquer Genséric en Afrique, et de ruiner sa puissance. C’était un projet dont Majorien était occupé, et il faisait, à ce dessein, de grands préparatifs. Mais, avant que d’entamer une entreprise si difficile, il fallait pacifier la Gaule, ou Théodoric avait soulevé plusieurs peuples contre le nouvel empereur. Ce prince, jusqu’alors ennemi mortel de Genséric, s’était réconcilié avec lui par la haine qu’il portait à Majorien, et les deux fois travaillaient à engager les Suèves dans leur parti. Egidius, commandant des troupes de la Gaule, défendait la province avec courage. Ce général, assiégé dans une ville qui n’est pas nommée, voyant arriver un secours considérable, fit une si vigoureuse sortie, qu’il dissipa entièrement les troupes de Théodoric, joignit le secours, et marcha vers Lyon, qui avait reçu les Visigoths. Il fallut assiéger la ville, qui souffrit beaucoup pendant ce siège. Forcée enfin de se rendre, elle fut dépouillée de ses privilèges, et obligée de recevoir une garnison, qui n’y fit guère moins de désordre que n’en auraient fait des ennemis. Pierre, secrétaire de Majorien, envoyé peu de temps après dans cette ville, eut compassion de ses malheurs: il y prit des otages, et obtint de l’empereur qu’il lui pardonnerait sa révolte, et qu’il en retirerait la garnison. Arles fut assiégée par Théodoric. Egidius en fit lever le siège.

Majorien, retenu jusqu’alors en Italie, partit de Ravenne après le combat de Sinuesse et la retraite des Vandales. Il prit le chemin de la Gaule pour achever de rétablir la tranquillité dans cette province. Son dessein était de passer ensuite en Espagne, où sa flotte devait le venir joindre pour le transporter en Afrique avec son armée. Il avait rassemblé un grand nombre de barbares, les uns confédérés, les autres sujets de l’empire. On voyait à la suite des Bastarnes, des Suèves, des Huns, des Alains, des Ruges, des Bourguignons, des Ostrogoths, des Sarmates. Les habitants des bords du Tanaïs et ceux du Caucase venaient se ranger sous ses étendards. La renommée de ce prince, autant que l’espérance de s’enrichir des trésors de Genséric, les avait attirés à cette célèbre expédition. A la tête d’une partie de ces troupes, Majorien se mit en marche au mois de novembre pour passer les Alpes, malgré les glaces et les frimes de l’hiver. Dès la première journée , les Huns auxiliaires, excités par leur chef Tuldila, se mutinèrent et refusèrent de marcher. L’empereur n’eut pas besoin de châtier cette désobéissance. Les autres barbares ne prenant l’ordre que de leur indignation, se jettent sur les mutins, les taillent en pièces, et punissent eux-mêmes, ce qui pouvait être pour eux d’un dangereux exemple. L’armée, se soutenant à peine sur les glaces, et presque ensevelie dans les neiges, traversait les Alpes avec une fatigue incroyable. Un officier barbare, qui conduisait l’avant-garde, transi de froid et perdant courage, quoiqu’il fût né dans les frimas du nord, s’arrêta en murmurant, et retint toutes les troupes, qui le suivaient en files serrées dans ces sentiers étroits et glissants. Alors Majorien, qui marchait lui-même à pied pour encourager ses soldats en partageant leurs fatigues, vole à la tête des bataillons, et, prenant les devants, assurant ses pas avec sa pique, par cet exemple plus puissant que les ordres les plus sévères, il entraîne après lui toute l’armée.

Depuis la mort de Valentinien II, pendant l’espace de 66 ans, la Gaule, tantôt envahie par des tyrans, tantôt désolée par des barbares, n’avait point vu son empereur. Majorien alla d’abord à Lyon, qui se ressentait encore des suites fâcheuses de sa révolte. Sidoine, attaché à la mémoire de son beau-père Avitus, et regardant Majorien comme son ennemi personnel, s’était engagé dans la rébellion. Il avait obtenu son pardon en même temps que les autres habitants. A l’arrivée de l’empereur, il prononça le panégyrique en vers que nous avons encore, et dans lequel il relève par de pompeux éloges les actions du prince, et le dessein qu’il a formé de délivrer l’Afrique.

Peu s’en fallut qu’une révolution surprenante ne rendît aux Romains toute la partie septentrionale de la Gaule, que les conquêtes des Francs leur avoient enlevée. Après la mort d’Aétius, Mérovée, pour étendre ses états, avait passé la Somme, et, à la faveur des troubles de l’empire, il avait conquis en trois ans tout le pays jusqu’à la Seine. Etant mort cette année, il eut pour successeur son fils Childéric, qui, dès le commencement de son règne, se rendit odieux par ses débauches effrénées. Ses sujets s’étant révoltés, ce jeune prince fut obligé de s’enfuir en Thuringe. Le choix que firent les François pour remplir sa place serait incroyable, s’il n’était attesté par tous les historiens. Quoique la nation fût bien résolue de conserver ses conquêtes, et de maintenir son indépendance, elle donna la couronne à Egidius, dont elle estimait la valeur et la justice. Egidius, auparavant ennemi, alors roi des Francs, fut assez habile pour réunir deux dignités qui semblaient se détruire, indépendant de l’empire en qualité de roi, obéissant aux empereurs, comme général de leurs armées, jusqu’à sa révolte contre Sévère. Ce qui augmente le paradoxe, c’est que, pendant près de huit années que dura un assortiment si bizarre, Egidius, maître tout ensemble de la nation Franc et des troupes romaines de la Gaule, n’ait pas tenté ou d’enlever la Gaule entière aux Romains pour accroître sa puissance, ou de leur rendre les conquêtes des Francs, ce qui aurait pu lui procurer à lui-même la couronne impériale. Nous ne sommes pas assez instruits des détails de ces temps-là pour prononcer lequel des deux eût été plus facile, et quelle raison a pu empêcher Egidius de l’entreprendre. Je crois cependant qu’il lui était plus aisé de dépouiller les Romains que les Francs. La puissance de ceux-ci était récente, mais aussi plus verte et plus vigoureuse. D’ailleurs il est à croire qu’Egidius était éclairé de près par le conseil de la nation; et que surtout Viomade, homme puissant et ami secret du roi fugitif, était attentif à veiller sur ses démarches, pour ne pas laisser anéantir un royaume qu’il espérait bien rendre un jour à Childéric.

L'histoire de l’Orient ne nous fournit, pour cette année ni pour les deux suivantes, aucun événement mémorable, si ce n’est un violent tremblement de terre qui détruisit une grande partie d’Antioche. Les empereurs avaient à l’envi décoré cette ville de palais, de portiques et de bains publics. Mais la débauche y était portée aux derniers excès, et l’on regarda comme un effet de la colère divine le fléau dont elle fut alors affligée. Le q4 de septembre 458, à dix heures du soir, la partie qu’on appelait la ville neuve, et qui était la plus magnifique et la plus peuplée, fut tout à coup ébranlée et presque entièrement renversée. Le reste de la ville ne souffrit aucun dommage. La ruine de tant de beaux édifices fut réparée par les libéralités de Léon. Il remit sur les impôts la somme de mille talents d’or, qui font plus de quatre millions de livres de notre monnaie. Il déchargea de toute contribution ceux dont les maisons avoient été détruites ou endommagées, à condition qu’ils auraient soin de les rétablir, et donna de grande sommes pour relever les bâtiments publics. Ce tremblement se fit sentir dans l’Isaurie, dans l'Ionie, dans l’Hellespont, et jusque dans la Thrace, et dans les îles Cyclades. Plusieurs édifices tombèrent à Cnide et dans l’île de Cos. Deux ans après, Cyzique éprouva le même désastre. Une partie des murailles s’écroula, et grand nombre d’habitants furent abîmés ou écrasés sous les ruines de leurs maisons.

An. 459.

Majorien ne séjourna pas longtemps à Lyon. Après avoir donné ses ordres pour rendre à cette ville son ancien lustre, il alla passer l’année suivante dans la ville d’Arles, où il avait donné rendez-vous au reste des troupes qu’il devait conduire en Afrique. On travaillait à l’équipement d’une flotte dans les ports d’Aquilée, de Ravenne et de Misène. Elle devait être forte de trois cents vaisseaux. Cependant Théodoric, ayant rappelé d’Espagne le général Cyrila, était d’abord résolu de continuer la guerre. Un combat dans lequel il fut défait le fit changer de dessein. Il se détacha de l’alliance de Genséric pour en contracter une nouvelle avec Majorien, qu’il s’engagea même à secourir contre les Vandales.

Au commencement de l’année suivante, 460, tout était prêt pour l’expédition. L’armée était rassemblée aux portes d’Arles, et la flotte à l’ancre dans le golfe d’Alicante, près de Carthagène, attendait les ordres de l’empereur pour g se rendre au détroit de Cadix, où elle devait prendre les troupes de terre et les transporter en Afrique. Majorien, ayant passé les Pyrénées, se rendit à Saragosse au mois de mai. Sa réputation de valeur inspirait à ses soldats les plus heureuses espérances, et faisait craindre à Genséric une guerre périlleuse. Le roi des Vandales tenta d’abord les voies d’accommodement; mais l’empereur ne voulant point y entendre, Genséric commença par faire le dégât dans la Mauritanie, ruinant toutes les subsistances, et empoisonnant toutes les eaux. Ils prit encore un moyen beaucoup plus sur pour faire échouer l'entreprise de Majorien. Il pratiqua des intelligences sur la flotte romaine, et il y trouva des traîtres qui préférèrent l’argent au devoir et à l’honneur, et qui livrèrent leurs vaisseaux aux Vandales lorsque ceux-ci se présentèrent comme pour combattre. Majorien , ayant appris cette nouvelle pendant qu’il approchait de Carthagène, se vit forcé de repasser les Pyrénées et de retourner à Arles pour réparer la perte de sa flotte. Genséric, lui ayant une seconde fois envoyé des députés, le trouva plus disposé à écouter ses propositions. On ignore les conditions du traité; mais la paix fut conclue pendant l’hiver suivant, que Majorien passa dans la Gaule. Les Alains de l’Armorique prirent les armes, et furent réprimés par Egidius. On croit que c’était Genséric, qui, par des intrigues secrètes, les avait mis en mouvement.

An. 461.

L’empereur, après avoir fait la paix avec les Visigoths el les Vandales, et assuré par ce moyen les frontières de l’Italie par terre et par mer, revenait à Ravenne, lorsque Ricimer, jaloux de la puissance souveraine, et regardant comme une usurpation l’autorité légitime que Majorien exerçait, forma le dessein de l’en dépouiller, et l’exécuta par un complot de ses partisans dans le Milanais, le second jour d’août: d’autres disent le 7 de juillet. Il le fit tuer cinq jours après à trois lieues de cette ville sur les bords de la rivière d’Iria. Ces liens sacrés et indissolubles qui attachent les sujets à leur souverain étaient alors tellement affaiblis, qu’il ne parait pas qu’on ait fait aucun effort pour défendre ni la couronne ni même la vie d’un prince si digne d’être conservé. Il avait régné trois ans et sept ou huit mois. Il fut enterré sans pompe; et la simplicité de son tombeau, comparée avec les fastueux monuments de tant de mauvais princes, faisait naître des réflexions plus honorables pour lui que les plus superbes mausolées. Quatre mois avant la mort de Majorien, l’Eglise avait perdu son chef, et l’Occident sa principale défense et son plus grand honneur dans la personne du pape saint Léon. Il était mort le onzième d’avril.

Ricimer, pour ne pas être trompé cette fois dans le projet qu’il a voit formé de régner sous le nom d’un autre, choisit un homme sans réputation comme sans mérite, propre à porter, ainsi qu’une statue, la pourpre impériale. C’était un Lucanien, nommé Vibius Sévérus, et surnommé Serpentin. Tout ce qu’on rapporte de lui avant sou règne, c’est qu’il fut complice de la mort de Majorien. Ricimer, maître des suffrages, le fit proclamer Auguste à Ravenne le 19 ou le 20 de novembre; et, peu de jours après, le sénat de Rome fut obligé de confirmer cette élection.

Léon n’avait pas été consulté; aussi ne reconnut-il pas d’abord Sévère pour son collègue. Ce prince était alors en guerre avec les Ostrogoths. Marcien s’était engagé leur payer tous les ans une somme à titre de récompense de leur fidélité. Léon, différant d’acquitter cette convention, ils lui envoyèrent des députés, qui furent témoins des distinctions honorables qu’on accordait a Théodoric, fils de Triarius, et aux Goths de sa suite. Ce Théodoric, surnommé le Louche, était un prince Ostrogoth, mais d’une autre race que celle des Amales. Dans les troubles qui suivirent la mort d’Attila, il s’était rendu indépendant; et, suivi d’une troupe d’aventuriers de sa nation qui s’étaient attachés à sa fortune, il avait fixé son séjour à la cour de Constantinople, dans laquelle il avait un grand crédit, parce qu’il était frère ou neveu de la femme d’Aspar. On lui forma un petit état, dans la Thrace, avec une pension annuelle. Les députés de Valamir étant revenus en Pannonie sans avoir obtenu ce qu’ils demandaient, ce prince, piqué de jalousie, et se croyant méprisé, prend les armes avec ses deux frères. Ils ravagent l’Illyrie, détruisent plusieurs villes, battent le commandant de la province, qui, après sa défaite, abandonna le pays. Léon envoya contre eux Anthémius, gendre de Marcien. Ce général remporta quelques avantages, et obligea les Ostrogoths de regagner la Pannonie, où il n’osa les poursuivre. On ne pouvait se promettre un long repos de la part de ces guerriers entreprenants. Pour s’épargner une continuelle inquiétude, l’empereur prit le parti de les satisfaire. Il leur envoya des députés pour se plaindre de l’infraction du traité; et, sur les plaintes qu’ils firent à leur tour de ce qu’on négligeait de leur fournir l’argent dont on était convenu, et qui leur était nécessaire pour leur subsistance, Léon leur fit payer les arrérages, y ajouta de nouveaux présents, et s’engagea pour l’avenir à leur donner tous les ans trois cents livres d’or. Il exigea seulement que, pour gage de leur fidélité, on lui mît entre les mains Théodoric, fils de Théodomir. Ce jeune prince entrait dans sa huitième année, et son père, dont il était chéri, ne consentit à l’éloigner que sur les instances réitérées de Valamir. Théodoric, qui avait reçu de la nature toutes les grâces de l’esprit et du corps, gagna bientôt la tendresse de Léon et l’affection de toute la cour.

An. 462.

Léon avait deux filles, Ariadne, née avant qu’il fût empereur, et Léontie, qui doit être venue au monde la première année de son règne. En 462, Vérine lui donna un fils, qui mourut peu de temps après. Le chagrin que causa cette perte fut adouci par un heureux événement qui intéressait l’honneur de l’empire. Depuis sept ans les empereurs sollicitaient Genséric de renvoyer Eudoxie, veuve de Valentinien, et ses filles, qu’il retenait à Carthage. Il se rendit enfin cette année aux instances de Léon, et fit partir pour Constantinople Eudoxie et sa fille Placidie, avec un cortège honorable. L’aînée, Eudocie, qu’il donna pour femme à son fils Hunéric, demeura en Afrique. Il aurait fait épouser Placidie à un autre de ses fils, si elle n’eût auparavant été fiancée à Olybre. La politique empêcha Genséric de rompre cet engagement. Olybre, issu de la famille des Anices, et aussi illustre par son rang dans le sénat que par sa naissance, pouvait parvenir à l’empire d'Occident, qui changeait si souvent de maître. En lui rendant son épouse, Genséric s’en faisait un ami, dont il tirerait dans l’occasion de grands avantages : aussi ne cessa-t-il depuis ce temps-là de faire tous ses efforts pour élever Olybre à l’empire; et ce fut un nouveau prétexte pour ravager les côtes d’Italie et de Sicile. Il alléguait encore d’autres prétentions. Léon, pour obtenir la délivrance des princesses, avait envoyé en Afrique une partie des biens de Valentinien , qu’on avait transportés à Constantinople. C’était un présent qu’il faisait à Hunéric pour servir de dot à la princesse sa femme. Le roi des Vandales prétendait de plus qu’on lui remît ce qui restait en Italie des biens paternels d’Eudocie; et, comme il avait entre les mains Gaudence, fils d’Aétius, il exigeait aussi qu’on lui tînt compte de l’héritage de ce général. Eudoxie, de retour à Constantinople, alla rendre grâces au saint solitaire Daniel, aux prières duquel elle attribuait surtout sa délivrance. Elle voulut l’engager, par les plus vives instances, à descendre de sa colonne, lui offrant le choix d’une de ses terres, où il pourrait en liberté mener une vie pénitente. Daniel refusa constamment les offres de l’impératrice, qui ne put obtenir de lui que sa bénédiction. Olybre épousa Placidie avec l'agrément de l’empereur. Eudocie vécut seize ans avec Hunéric, et lui donna un fils qui lui succéda. Mais, se lassant de la compagnie d’un prince arien qui persécutait cruellement les catholiques, elle s’échappa de l'Afrique par le secours d’un officier fidèle nommé Curque, et vint passer à Jérusalem le reste de ses jours dans les exercices de piété, à l’imitation de l'impératrice Eudoxie, son aïeule maternelle. Elle y finit bientôt sa vie, et laissa tous ses biens aux pauvres et à l’église de la Résurrection.

Genséric entretenait la paix avec l’empereur Léon; mais les côtes de l’Italie étaient continuellement ravagées par ses flottes. Il se rendit maître de la Sardaigne. Ricimer réclamait la foi du traité fait depuis peu avec Majorien. Genséric, se prétendant libre de tout engagement depuis la mort de ce prince, refusait de rien entendre, à moins qu’on ne lui abandonnât l’héritage de Valentinien et d’Aétius. Il était impossible de garnir de troupes toutes les villes exposées aux descentes des Vandales, et les Romains manquaient de vaisseaux. Ils en demandèrent à Léon, qui s’excusa sur les traités subsistants entre l'empire d’Orient et Genséric. Il consentit seulement à s’intéresser auprès du roi des Vandales pour l’engager à cesser ses hostilités. A ce dessein, il députa en Afrique le patrice Tatien, qui ne put rien gagner sur ce prince inflexible.

Une révolution arrivée dans le nord porta sur les frontières de l’empire un flot de barbares jusqu’alors inconnus. Des Tartares vinrent du fond de l’Orient déplacer les Avares; ceux-ci chassèrent les Sabirs, qui, poussés Vers l’Occident, tombèrent sur les Igours septentrionaux. Les Igours habitaient vers la source de l’Irtis, où ils s’occupaient de la chasse des martes zibelines, dont ils faisaient commerce avec les Romains. Forcés de quitter leurs demeures, et divisés en trois hordes ou tribus, ils passèrent le Volga, attaquèrent les Acatires, et les obligèrent de reculer vers le Caucase. S’étant établis dans leur pays, et se trouvant voisins de l’empire, il envoyèrent à Léon des ambassadeurs pour demander son alliance. Léon fit un accueil favorable à ces députés, et les renvoya comblés de présents.

On commence à voir dans ce temps-là chez les Grecs une sorte de dévotion bizarre, et même dangereuse, qui joignent les engagements du siècle à ceux de la vie monastique. Gratissime, grand-chambellan de Léon, fonda le monastère de Saint-Cyriaque à Constantinople, et y prit lui-même l’habit de moine, sans quitter les fonctions de sa charge. Deux ans après, Jean Vincomale, maître des offices pendant le règne de Marcien, et consul en 453, prit l'habit dans un autre monastère, et continua d’aller assidûment au palais, et d’assister aux assemblées du sénat. Il retournait ensuite à sa nouvelle demeure, accompagné d’un nombreux cortège de clients; et, quittant alors l’habit de sénateur pour prendre la robe monastique, il s’occupait des ministères les plus vils que l’abbé voulait lui imposer.

La Sicile s’était longtemps défendue contre les attaques des Vandales par la valeur et la bonne conduite de Marcellin, que Majorien y avait envoyé à la tête d’un corps considérable d’Ostrogoths qui étaient à la solde de l’empire. Ricimer, craignant que ce généreux capitaine ne lui pardonnât jamais la mort de ce prince, travailla sourdement à lui débaucher ses soldats. Marcellin, instruit de ces pratiques secrètes, abandonna la Sicile; et, s’étant embarqué avec ceux dont il connaissait la fidélité, il se relira en Dalmatie, où il se forma un établissement indépendant des deux empires. Il s’y rendit bientôt assez puissant pour donner de l’inquiétude à Ricimer. La révolte d’Egidius dans la Gaule, et les incursions perpétuelles des Vandales mettaient Ricimer hors d’état d’entreprendre une nouvelle guerre. Il eut donc recours à Léon, qui députa Phylarque en Dalmatie pour regagner Marcellin. On ne put calmer ses défiances, ni l’engager à se soumettre. Il promit seulement de demeurer en paix, s’il n’était attaqué le premier.

Ricimer avait beaucoup plus à craindre du côté de la Gaule, où tout était alors dans une étrange confusion. La jalousie d’Egidius et d’Agrippin y excitait de grands troubles. Agrippin, né en Gaule, était depuis peu revêtu du titre de comte. En cette qualité, il devait commander les troupes de la province. Egidius avait cet emploi dans la Gaule depuis le commencement du règne de Majorien, et l’on ne voit pas qu’il en ait été dépouillé; c’est ce qui jette beaucoup d’embarras sur ce point d’histoire. Au défaut d’autres éclaircissements, voici une conjecture qui me semble naître des circonstances. Egidius, créature de Majorien , était suspect à Ricimer. Mais son habileté, sa hardiesse, sa valeur, et surtout sa qualité de roi des Francs, le rendaient si redoutable, que le ministère, tout absolu qu’il était, n’osait lui ôter le commandement. Afin d’affaiblir sa puissance, Ricimer fit nommer comte le Gaulois Agrippin, accrédité dans le pays, et ami de Théodoric, roi des Visigoths, non pas pour avoir seul le commandement des troupes, mais en apparence pour seconder Egidius, partagé par d’autres soins. Egidius ne fut pas dupe de cette artificieuse politique. Il résolut de se défaire de ce collègue incommode; et, pour y réussir, il fit secrètement avertir Sévère qu’Agrippin trahissait l’empire, et qu’il voulait livrer aux Visigoths ce qui restait aux Romains en-deçà de la Loire. Les liaisons d’Agrippin avec Théodoric donnaient à ce rapport une couleur de vraisemblance. Sévère lui envoya ordre de se rendre à Rome. Agrippin, frappé de quelque défiance, faisait difficulté d’obéir, à moins que son accusateur ne se déclarât, et que son procès ne fut instruit selon les formes juridiques. Egidius, habile dans l’art de se déguiser, feignit de s’intéresser vivement pour lui. Il lui protesta que ses soupçons étaient vains; qu’il n’était point accusé, et qu’il n'avait à craindre que le péril qu’il s’altérerait par sa désobéissance. Agrippin se laissa persuader, et se rendit à Rome, où Sévère était pour lors. Dès qu’il fut arrivé, on s’assura de sa personne; on instruisit son procès devant le sénat; on produisit les lettres d’Egidius; et, sans avoir été entendu dans ses défenses, Agrippin fut condamné à mort par l’empereur, et conduit en prison, pour y attendre l’intervalle des trente jours prescrit par les lois. Il trouva moyen de s’évader, peut-être par la faveur de Ricimer, qui ne voulait pas le perdre, pour ne pas servir Egidius qu’il haïssait. Agrippin s’alla cacher dans l’asile de l’église de Saint-Pierre, sans se faire connaitre à personne. La nouvelle de son évasion répandit l’alarme dans Rome; on publiait qu’il était retourné en Gaule pour se joindre aux Visigoths, et se venger de l’injustice qu’il avait éprouvée. On murmurait contre la sentence. Agrippin, auparavant déclaré coupable sans examen par la voix publique, était alors sans examen reconnu innocent. L’empereur, aussi inconstant que le peuple, se reprochait la précipitation de son jugement. Agrippin, ayant appris cet heureux changement, se découvrit et offrit de prouver son innocence. On lui accorde toute sûreté; on le conduit au sénat devant l’empereur; il est écouté et pleinement déchargé du crime dont on l’accusait. Ce qui aida beaucoup à sa justification, c’est qu’on venait de recevoir la nouvelle qu’Egidius, son accusateur, s’était lui-même révolté dans la Gaule.

Ce général, délivré d’Agrippin, avait enfin levé le masque. Indigné de recevoir des ordres du meurtrier de Majorien et d’un fantôme d’empereur, il avait publié des manifestes contre Sévère et Ricimer, protestant toujours de son inviolable fidélité au service de l’empire, et se déclarant général des troupes de la Gaule au nom du sénat et du peuple romain. Ayant rassemblé sous ses étendards la plupart des soldats qui avoient suivi Majorien en Espagne, il se disposait à passer en Italie, pour y détruire l’assassin et le tyran des empereurs. Ricimer conjura cet orage en suscitant contre lui Théodoric, par le moyen d’Agrippin, qu’il renvoya dans la Gaule. Pour déterminer ce prince à la guerre contre Egidius, on lui abandonna Narbonne, dont la conservation avait coûté tan de sang aux Romains, depuis qu’ils avaient eu l’imprudence de céder l’Aquitaine aux Visigoths. Les Bourguignons s’engagèrent aussi dans la ligue contre Egidius, et leur roi Gondiac fut honoré du titre de général des armées de l’empire. On augmenta les états de ce prince de plusieurs villes en Savoie et vers le Rhône. Pour ne point interrompre le fil de ces événements, je vais rapporter de suite ce qu’on sait d'Egidius jusqu’à sa mort, qui arriva la même année que celle de Sévère.

La cession de Narbonne attacha tellement Théodoric au service de Sévère et de Ricimer, que ce prince est appelé par les auteurs romains de ce temps-là le soutien et l’honneur de l’empire. Egidius, pour résister à ce puissant ennemi, se ligua avec les Alains et les Bretons de l’Armorique. Une troupe de pirates saxons, qui ravageaient les côtes maritimes, se joignit à lui. Odoacre , leur chef, entra dans la Loire, remonta jusqu’à Angers, et s’arrêta dans cette ville, qu’il défendit contre les Visigoths. Egidius étendit ses liaisons jusqu’en Afrique; il convint avec Genséric que celui-ci attaquerait Sévère par la Méditerranée, tandis que les Alains pénétreraient en Italie par les Alpes rhétiques. Après ces dispositions, qui occupèrent Egidius pendant l’hiver, il se mit en campagne; et, ayant passé la Loire, il rencontra entre ce fleuve et le Loiret, près d’Orléans, une armée de Visigoths commandée par Frédéric, frère de Théodoric. Il se livra une bataille où les Visigoths furent défaits, et Frédéric y perdit la vie. Le vainqueur mit le siège devant Chinon; mais les pluies et les orages l’ayant contraint de se retirer, il repassa la Loire et se réserva la défense des provinces situées au nord de cette rivière. Genséric, en exécution du traité fait avec Egidius, attaqua la Sicile, d’où ses troupes furent repoussées. Les Alains, sous la conduite de leur roi Béorgor, entrèrent en Italie, et s’avancèrent jusqu’à Bergame. Ricimer, ayant marché à leur rencontre, les défit, le 6 de février 464, dans un grand combat, où ils périrent presque tous avec leur roi.

Les succès d’Egidius contre les Visigoths furent arrêtés par la révolte des Francs. Sa tyrannie lui fit perdre la couronne, qu’un choix bizarre avait placée sur sa tête. Viomade, confident secret de Childéric, ne cherchait que l’occasion de le rétablir; et l’imprudence duc général romain lui en facilita les moyens. S’étant rendu maître de l’esprit du nouveau roi par des démonstrations de zèle, il ne songea qu’à le rendre plus odieux que Childéric. Trompé par ses pernicieux conseils, Egidius accabla les Francs d’impositions, et, sur de fausses alarmes que lui inspirait l’artificieux courtisan, il fit mettre à mort un grand nombre de seigneurs qui lui étaient les plus attachés, et qui avoient été les auteurs de la révolution, vengeant lui-même Childéric sans le savoir, et écartant les plus puissants obstacles que ce prince pouvait trouver à son retour. Ces cruautés firent oublier les emportements du roi détrôné. Viomade allumait encore davantage l’indignation publique par les reproches secrets qu’il faisait aux principaux de la nation. Enfin le complot fut formé : on rappela Childéric. Tous les Francs, transportés de haine contre le tyran, et d’ardeur pour leur prince légitime, prennent les armes. Viomade à leur tête va au-devant du roi : ils battent Egidius, s’emparent de Cologne, où ils massacrent un grand nombre de Romains, et brûlent Trêves. Egidius se retire à Soissons, où peu de temps après il mourut, en 465, empoisonné, selon quelques auteurs, assassiné, selon d’autres. Quelques historiens reculent sa mort jusqu’en 469. Ceux qui donnent huit ans à l’exil de Childéric, et qui placent son expulsion en 458, et son retour en 465, comptent les deux années qui commencent et qui finissent cet intervalle.

Après la mort d’Egidius, presque toute la Belgique se soumit aux Francs. Odoacre, qui était dans Angers avec ses Saxons, à la solde du général romain, appréhendant une révolte des habitants, se fit donner des otages, et se rendit maître du pays. Théodoric s’appropria les villes qu’on lui a voit engagées ou données à défendre. Il s’empara du Poitou. Les Romains avoient dans Poitiers une garnison de Taïfales, que les Goths congédièrent. Il ne resta aux Romains, dans la première Aquitaine, que l’Auvergne et le Berri. Les Bretons, chassés de leur île, s’étant rendus indépendants, occupaient presque tout le pays qui a pris leur nom. Ce qui restait d’Alains se mêla avec eux. Syagrius, fils d’Egidius, se maintint dans Soissons pendant vingt ans, d’abord sous le titre de général des Romains, défendant avec courage le peu de pays qu’ils possédaient encore dans la Gaule septentrionale, et qui se réduisit aux villes et territoires de Soissons, de Reims, de Châlons, de Sens et de Troyes. Après la destruction de l’empire d’Occident, Syagrius prit le titre de roi, et le conserva jusqu’à l’an 486, qu’il fut défait et mis à mort par Clovis.

An. 465.

 L’Espagne n’était pas plus tranquille que la Gaule. Les Suèves étaient partagés entre Frumaire et Rémismond, qui, prenant tous deux le titre de rois, ravageaient à l’envi la Lusitanie et la Tarraconaise. Les malheureux habitants de ces contrées, n’attendant aucune assistance de l’empire, eurent recours à Théodoric, qui, étant alors occupé en Gaule, ne put les secourir que par des ambassades. Rémismond promettait tout, et ne tenait rien de ce qu’il avait promis. Dès que les envoyés de Théodoric étaient sortis de sa cour, il recommençait ses ravages. Enfin Frumaire étant mort, et tous les Suèves s’étant réunis sous l’autorité de Rémismond, celui-ci s’engagea par un traité solennel à laisser en paix ses voisins. Pour cimenter cet accord, le roi des Visigoths lui donna une de ses filles en mariage. Cette alliance ne retint pas longtemps le caractère turbulent de Rémismond. Il amusait Théodoric en lui envoyant des ambassadeurs, et en recevoir de sa part sans suspendre ses hostilités. Ces députations réciproques ne servirent qu’à porter chez les Suèves la contagion de l’arianisme. Réchiaire avait établi dans ses états la doctrine catholique. Un prêtre apostat, nommé Ajax, Gaulois de naissance, mais qui s’était perverti à la cour de Théodoric, étant passé chez les Suèves dans le cours de ces négociations, s’insinua dans l’esprit du roi, et infecta de son hérésie la nation entière, qui ne revint à la croyance orthodoxe que cent ans après, sous le règne de Théodémir.

Il semble que Léon voyait avec une stupide indifférence la ruine prochaine de l’empire d’Occident; et l’on ne peut lui pardonner d’avoir laissé le barbare Ricimer disposer de la pourpre impériale et gouverner à son gré les affaires d’Italie. Les vues politiques de ce prince ne paraissent pas avoir été fort étendues. On le voit sensiblement par le mauvais choix de ceux qu’il approcha le plus près de sa personne. Zénon en sera bientôt une preuve; il ne s’agit encore en cette année 463 que de Basilisque. Quoique frère de l’impératrice Vérine, Basilisque ne méritait que l’obscurité. Sans talents, comme sans mœurs, fourbe, avare, ignorant, il était toutefois dévoré d’ambition, et se croyait capable de tout. On ne reprochera pas à Léon de lui avoir conféré le consulat en 465; c’était depuis longtemps un titre sans conséquence, une de ces dignités oisives qui ne donnent que des préséances très propres à dédommager la vanité de ceux qui, avec un nom illustre, méritent d’être laissés dans l’inaction. Mais on ne peut attribuer qu’à la faiblesse de l’empereur d’avoir cette année confié à son beau-frère le commandement des armées de Thrace. Par malheur pour l’empire, le nouveau général eut dans cette province quelque succès de peu d’importance, mais que Vérine et ses courtisans eurent soin de faire valoir comme de magnifiques exploits; et, sur leur parole, Basilisque passa pour un merveilleux capitaine.

An. 464.

On aurait eu besoin dès lors d'un bon général, si le roi de Perse n’eût pas été occupé par les Huns. Isdegerd II étant mort l’an 457, son fils Hormisdas lui avait succédé. Pendant les quatre années qu’il régna, il fut perpétuellement en guerre avec son frère Pérose, qui lui disputait la couronne. Enfin Pérose, vainqueur, monta sur le trône de Perse. C’était un prince fier et plein de valeur, mais impétueux et téméraire. Les Huns Cidarites, nommés aussi Euthalites et Nephtalites, qui habitaient à l’orient de la mer Caspienne, ayant refusé de lui payer le tribut imposé par ses prédécesseurs, il marcha contre eux, et trouva dans cette nation belliqueuse une résistance invincible. Fatigué d’une guerre longue et sanglante, il crut la terminer par un grossier artifice. Il envoya dire à Concha, roi des Huns, qu’il voulait faire la paix avec lui, et que, pour gage de sa bonne foi, il lui offrait sa sœur en mariage. Le roi de Perse était le plus grand monarque de l’Orient; et Concha, fort honoré d’une si haute alliance, reçut avec joie cette proposition. Pérose, au lieu de sa sœur, lui envoya une esclave fort belle, richement parée, avec un équipage digne de la princesse. Il n’oublia pas de recommandera cette fille un profond secret, l’avertissant que, si la tromperie était découverte, elle ne pouvait s’attendre qu’à périr d’une mort cruelle. La jeune esclave fut assez hardie pour hasarder l’aventure; mais dès qu’elle fut devenue reine des Huns, craignant avec raison que ce déguisement ne pût être longtemps caché, elle se fit connaitre à son mari. Cette dangereuse confidence ne diminua rien de l’amour que le prince avait conçu pour elle; il continua de la traiter comme sa femme, et toute sa colère se tourna contre Pérose. Résolu de se venger, il mit en œuvre à son tour une ruse moins insultante, mais cruelle et meurtrière. Il feignit de vouloir subjuguer les barbares voisins de ses états, et manda au roi de Perse qu’il avait assez de soldats, mais qu’il le priait de lui prêter des capitaines. Pérose, qui comptait sur une longue paix, lui envoya trois cents de ses meilleurs officiers. Lorsqu’ils furent arrivés à Gorgo, nommé depuis Corcange, près de l’Oxus, résidence du roi des Cidarites, ce prince fit égorger les uns ; et, après avoir fait couper les mains aux autres, il les renvoya au roi de Perse pour lui dire que c’était la juste punition de son indigne supercherie.

La guerre s’étant rallumée avec fureur, Pérose envoya des ambassadeurs à Léon pour obtenir du secours. Il se plaignait qu’on reçût dans l’empire un grand nombre de fugitifs qui abandonnaient la Perse, et que les mages et les peuples de la frontière, adorateurs du feu, fussent troublés dans l’exercice de leur religion. Il demandait aux Romains de l’argent et des soldats pour la garde de la forteresse de Juroïpac, située près de la mer Caspienne, et qui fermait le passage aux barbares, voisins du Volga. Il apportait pour raison que les Romains étaient aussi intéressés que les Perses à entretenir cette barrière, qui mettait à couvert les terres des deux états. Léon répondit que les plaintes de Pérose n’avaient aucun fondement : qu'il ne savait ce que c’était que ces fugitifs dont on parlait, ni que cette prétendue persécution suscitée contre la religion des Perses; que le roi ne pouvait raisonnablement exiger des Romains qu’ils se chargeassent de la défense d'une forteresse située dans ses états; qu'après tout, il souhaitait que la bonne intelligence subsistât toujours entre les Romains et les Perses, et que pour l’entretenir il allait envoyer un ambassadeur à Pérose. Il envoya en effet le patrice Constantius, qui avait été consul en 457. Mais, comme la réponse de Léon n’avait pas satisfait le roi de Perse, le député attendit longtemps à Edesse que Pérose lui permît de venir à sa cour. Ce prince était alors dans le pays des Cidarîtes. Il manda enfin Constantius, qui vint le trouver dans les plaines de Corcange. Le roi, après l’avoir traité honorablement pendant plusieurs jours, le congédia sans vouloir entrer avec lui dans aucun éclaircissement. Le refus de Léon avait indisposé ce prince; ce fut la cause du bon accueil qu’il fit aux nestoriens, chassés de l’empire. Il y avait à Edesse une école célèbre, fondée pour les Perses, qui y venaient apprendre les sciences et les lettres. Les maîtres de cette école, infectés des erreurs de Nestorius, ayant été bannis de la ville avec leurs disciples, se retirèrent en Perse. Ils trouvèrent Pérose disposé à les favoriser, et se rendirent maîtres du siège épiscopal de Ctésiphon, dont l’évêque était primat d’Assyrie et de Perse. Ils placèrent des nestoriens sur tous les autres sièges de ce grand royaume, et bientôt tous les chrétiens de Perse devinrent nestoriens. Pérose ne fut pas heureux dans celte seconde guerre contre les Cidarites. S’étant engagé dans des déserts, et manquant de vivres, il fut pris, et ne fut délivré qu’à la prière de l’empereur, qui s’intéressa pour sa liberté.

On vit l’année suivante à Constantinople un terrible exemple des emportements du peuple, qui ne sait punir qu’avec rage, et qui se rend lui-même criminel en châtiant les crimes. Ménat, commandant des gardes de nuit, accusé de plusieurs forfaits, était jugé dans l’Hippodrome par le prince, assisté du sénat. Léon, dans un mouvement d’indignation, le fit jeter au bas des degrés. Le peuple, assemblé au pied du tribunal, se saisit de ce misérable; et, malgré les magistrats, qui furent obligés de prendre la fuite, on le traîna par les rues, on l’écrasa à coups de pierres, et on jeta son cadavre dans la mer. Un mois après, une légère imprudence causa un dommage inestimable. Le soir du premier de septembre, une pauvre femme ayant laissé une lampe allumée près d’un magasin d’étoupes dans le marché de Constantinople, le feu se communiqua de proche en proche avec tant de violence, qu’en quatre jours, de quatorze quartiers dont cette grande ville était composée, huit furent entièrement détruits. La flamme se répandit dans l’espace de cinq cents pas du midi au septentrion, et de dix-sept cent cinquante pas de l’orient à l’occident, sans épargner les édifices les plus solides. Les églises, les palais, les monuments publics furent la proie des flammes ainsi que les maisons des particuliers. L’incendie ne cessa tout-à-fait qu’au bout d’une semaine. Dans cette étendue, il ne resta que des monceaux de marbre et de pierres mêlées de cendres et tellement confuses, qu’on ne pouvait reconnaître l’emplacement de chaque édifice. Au milieu de cet affreux désordre, où périt grand nombre d’habitants, Aspar signala son activité, courant de toutes parts, donnant les ordres, portant lui-même de l’eau au travers des flammes, et répandant l’argent pour animer la hardiesse et encourager les travaux. On rapporte que Marcien, économe de l’église de Constantinople, sauva celle de Sainte-Anastasie en montant sur le toit avec le livre des saints Evangiles, que les flammes respectèrent. Léon se retira au-delà du golfe de Chrysocéras, où il demeura six mois. Il y fit construire un port et une jetée ornée d’un portique, qui fut depuis nommée la jetée neuve. Cette vaste ruine n’était pas encore réparée sous le règne de Zénon, dont il nous reste une loi fort étendue sur ce qui regarde la reconstruction des édifices de Constantinople.

Dans ce même temps Sévère mourut à Rome le quinzième d’août, selon une ancienne chronique; mais si la date de la dernière des deux lois qui nous restent de lui est véritable, il vivait encore le 25 de septembre. Il avait porté la couronne impériale près de quatre ans, toujours esclave de son ministre. Dans toute l’histoire de son règne, il n’est nommé qu’une seule fois, à l’occasion du jugement d’Agrippin. Quelques auteurs lui attribuent de la piété; ce qui, selon le style qui commençait alors à s’établir, peut bien ne signifier autre chose sinon qu’il fit bâtir des églises et qu’il dota des monastères. Le genre de sa mort n’est pas moins ignoré que sa vie. Les uns disent qu'il mourut de maladie, les autres qu’il‘fut empoisonné par Ricimer.

An. 466.

Après la mort de Sévère, l’Occident demeura sans empereur pendant un an et demi. Ricimer gouvernait les affaires avec une autorité que personne n’osait lui disputer. Son nom était redoute des barbares. Les Ostrogoths, qui avaient fait quelque mouvement pour se jeter dans le Norique, restèrent en paix. Mais les barques des Vandales infestaient sans cesse les mers de la Sicile et de l’Italie. Ils abordaient sur les côtes qu’ils trouvaient sans défense, et se rembarquaient chargés de butin, sans qu’il fut possible ni de prévenir leurs descentes, ni de les atteindre sur terre. Ricimer, à l’exemple de Majorien, résolut d’arrêter ces brigandages dans leur source. Il équipa une flotte à dessein de passer en Afrique; mais les vents contraires et les fréquents orages qui survinrent cette année firent encore échouer cette entreprise.

Egidius venait de mourir dans la Gaule; Théodoric, roi des Visigoths, ne lui survécut pas longtemps : il périt par le même crime qui lui avait donné la couronne. Son frère Euric le fit assassiner à Toulouse, après treize ans de règne, et prit sa place. Devenu roi par ce parricide, il envoya des députés à Rémismond, dont il craignait la vengeance, parce que ce prince était gendre de Théodoric. Mais le roi des Suèves, moins sensible à ces désastres domestiques qu’occupé de ses desseins ambitieux, ne songea qu’à endormir Euric par des ambassades, comme il avait amusé Théodoric. Il députait de toutes parts à l’empereur Léon, à Euric, à Genséric, et cependant il continuait ses ravages. Le projet qu’avait formé Ricimer de passer en Afrique donnait de l’inquiétude au roi des Suèves et à celui des Visigoths. Ils faisaient réflexion que, si Genséric était abattu, toutes les forces romaines retomberaient sur eux. Ils rassemblèrent leurs troupes, et il parait que, si l’expédition d’Afrique avait eu son exécution, ils auraient favorisé Genséric. Mais, lorsqu’ils virent que cette entreprise était sans effet, Rémismond surprit la ville de Conimbra, la détruisit, en dispersa les habitants, et ruina tout le pays.

Léon prenait peu de part à ces mouvements. Il s’occupait de pèlerinages et de visites qu’il allait faire au solitaire Daniel. Il lui amenait les princes étrangers et les ambassadeurs qui se renvoient a sa cour, et tous revenaient pleins d’étonnement d’une pénitence si extraordinaire. Le saint personnage, du haut de sa colonne, donnait à l’empereur de salutaires conseils; mais s’il se fut permis de se mêler des affaires de l’état, il lui eût sans doute conseillé de ne pas le visiter si souvent, et de s’occuper davantage de l'honneur et de l’intérêt de l’empire, qui périssait en Occident. Gobaze, qui avait cédé à son fils le royaume de Lazique, vint à Constantinople avec le comte Denys. Il portait le manteau royal et la tiare des Perses, et était environné de gardes. Il avait cependant renoncé au titre de roi; et cet appareil déplut à l'empereur, qui lui en fit faire des reproches, comme d’une infraction du traité. Mais Gobaze sut si bien s’insinuer dans l’esprit de Léon; il témoigna tant de respect et de zèle pour la religion chrétienne, tant d’admiration pour Daniel, auquel Léon le conduisit, que l’empereur le renvoya comblé d’honneurs et de présents. Le sujet de son voyage était la guerre que les Suanes ou Zanes, établis depuis longtemps dans les montagnes qui séparent la Colchide de l’Ibérie, faisaient aux Lazes pour quelques châteaux que les deux nations se disputaient. Les Perses et les Ibériens avoient pris parti pour les Zanes. Gobaze implora le secours des Romains. Comme on lui avait déjà envoyé dans une autre occasion des troupes auxiliaires, qu’il avait été obligé de congédier faute de pouvoir fournir à leur subsistance, il pria Léon de lui donner seulement un général, avec la permission d’employer au besoin des troupes romaines, cantonnées en Arménie, pays limitrophe de la Lazique, ce qui lui fut accordé. Il parait, par le silence des historiens, que les Zanes cessèrent leurs hostilités dès qu’ils virent les Romains prêts à secourir leurs ennemis. Léon répara et augmenta cette année la ville de Callinique, qui fut ensuite appelée Léontopolis.

Les barbares établis le long du Danube se déchiraient mutuellement par des guerres cruelles. Les Ostrogoths, soit que les secours qu’ils tiraient de l’empire ne fussent pas suffisants pour leur subsistance, soit par l’amour de la guerre et du pillage, commencèrent à ravager les pays voisins. Ils se jetèrent d’abord sur une peuplade de Huns, nommés Satages, établis dans la Pannonie inférieure. Dengisic, le plus remuant des fils d’Attila, qui s’était retiré au-delà du Danube, se considérant comme le chef et le défenseur de la nation, courut au secours, et vint assiéger Basiane, ville de Pannonie sur le Raab. Les Goths retournent aussitôt contre lui, battent son armée, et lui font repasser le Danube en si mauvais état, que depuis cette défaite les Huns redoutèrent les armes des Goths. 

Cette victoire sur les Huns fut bientôt suivie d’une autre que les Goths remportèrent sur les Suèves. Hunimond, roi des Suèves de la Germanie, ayant passé le Danube, pénétra jusqu’en Dalmatie. Il enleva sur son passage quelques troupeaux qui appartenaient aux Ostrogoths. A son retour, pendant qu’il reposait tranquillement avec son armée près du lac Pelso, Théodémir vint au milieu de la nuit le surprendre dans son camp, égorgea une partie des Suèves, et fit le roi prisonnier. Le vainqueur, naturellement doux et porté à la clémence, se contenta de lui avoir donné cette leçon : il le renvoya dans son pays avec le reste de ses troupes. Cette générosité, qui méritait de la reconnaissance, ne causa que du dépit au féroce Hunimond. Les Squires, établis dans la Mœsîe, vivaient en paix avec les Goths; il les excita à leur faire la guerre. Les Goths, qui ne s’attendaient pas à cette nouvelle attaque, sortirent de la première bataille sans être ni vainqueurs ni vaincus. Les deux peuples députèrent à l’empereur Léon pour lui demander du secours. Aspar conseillait de n’aider ni les uns ni les autres, et de laisser s’entre-détruire des barbares toujours redoutables à l’empire, lors même qu’ils en étaient amis. Léon crut devoir secourir les plus faibles. II envoya ordre au préfet d’Illyrie de fournir des troupes aux Squires contre les Goths. Ceux-ci, sans perdre courage, livrent une bataille où le brave Valamir, courant de rang en rang pour animer ses soldats, fut abattu de son cheval et percé de traits. Ce triste événement ne fit que rendre la victoire plus complète. Les Goths, embrasés du désir de la vengeance, redoublent leurs efforts; ils terrassent les Romains auxiliaires, et font un si horrible massacre des Squires, qu’à peine en échappa-t-il pour conserver le nom de la nation.

Un succès si éclatant alarma les Suèves. Leurs rois Hunimond et Alaric s’appuyèrent du secours des Sarmates, des Gépides, des Ruges, et de ce qui restait de Squires. A la tête d’une multitude de ces barbares, ils traversèrent le Danube. Après la mort de Valamir, ses sujets avoient juré obéissance à son frère Théodémir, qui régnait déjà sur une partie de la Pannonie. Ce prince, également intrépide, manda son autre frère Vidémir, pour partager avec lui le commandement et la gloire. L’armée ennemie paraissait innombrable, et formait un front de plus de trois lieues. Les Goths n’en furent pas effrayés : commandés par deux rois qui donnaient à la fois l’ordre et l'exemple, ils chargèrent l’ennemi avec tant de valeur, que bientôt cette vaste étendue ne fut plus couverte que de monceaux de cadavres. Les Goths, ravis de joie d’avoir une seconde fois vengé un héros cher à la nation, passèrent les quatre années suivantes en repos; mais bien résolus de porter à leur tour au milieu de la Germanie, la ruine et la désolation dont les Suèves étaient venus les menacer.

Tout était en armes sur les bords du Danube. Hormidac, chef d’une troupe de Huns, ayant passé le fleuve sur ]es glaces au fort de l’hiver, entra dans la Dace, qui séparait les deux Mœsies. Anthémius reçut ordre de marcher contre lui avec un autre général que l’histoire ne nomme pas. Les Huns furent vaincus et obligés de se renfermer dans Sardique. Le siège fut long; et quoique les troupes romaines manquassent souvent de vivres, Anthémius fit observer une si exacte discipline, que les campagnes d’alentour ne se ressentirent point du voisinage de l’armée. Enfin les Huns, réduits à l’extrémité, sortirent en armes, et livrèrent bataille. Ils avoient corrompu par argent le collègue d’Anthémius; et dès le commencement du combat ce traître passa du côté des ennemis, croyant qu’il allait entraîner avec lui la cavalerie qu’il commandait. Personne ne le suivit, et tous les escadrons vinrent se ranger auprès d’Anthémius, qui combattait à la tête de l’infanterie. Les Huns, repoussés dans la ville avec un grand carnage, demandèrent à capituler: ils ne furent reçus à composition qu’après qu’ils eurent eux-mêmes massacré le perfide général.

Les fils d’Attila, qui régnaient aux environs du Pont-Euxin, envoyèrent dans ce même temps à Léon une ambassade. Ils demandaient qu’on oubliât toutes les querelles passées, et qu’on rétablît le commerce entre les Romains et les Huns comme il subsistait avant les guerres d’Attila, en sorte que les deux peuples eussent des foires et des marchés libres sur les bords du Danube. Cette proposition fut rejetée, Léon ne croyant pas devoir donner aucune entrée dans ses états à une nation qui les avait désolés avec tant de fureur. Dengisic, irrité de ce refus, résolut de s’en venger par les armes. Il ne put engager dans la guerre son frère Hernac, qui régnait paisiblement dans la petite Scythie, avec le titre d’allié des Romains. Lorsqu’il se fut, avancé avec ses troupes jusqu’au Danube, Anâgaste, qui commandait en Thrace, se présenta sur l’autre bord, et lui envoya demander pour quelle raison il venait attaquer les terres de l’empire. Anagaste était fils de cet Arnégiscle qui avait perdu la vie vingt ans auparavant en combattant contre Attila. Dengisic ne daigna faire aucune réponse; mais il envoya signifier à l'empereur que, si on ne lui donnait des terres dans l’empire et de l’argent pour payer ses troupes, il allait apprendre aux Romains qu’il était fils d’Attila. A cette bravade, Léon répondit, sans s’émouvoir, que les Huns obtiendraient tout de lui quand ils le reconnaîtraient pour leur souverain. Sur cette réponse, Dengisic ne songea plus qu’à combattre. Aussi fier que son père, il ne l’égalait pas en capacité. L’histoire ne dit pas laquelle des deux armées passa le fleuve, et l’on ne sait si les actions de cette guerre se passèrent en-deçà ou au-delà du Danube. A la nouvelle de l’approche des Huns, Basilisque, Ostrys, capitaine goth fort renommé, et attaché au service d’Aspar, ainsi que les antres officiers qui se trouvaient à la cour, allèrent joindre Anagaste pour partager la gloire de cette importante expédition. Les Huns, qui ne connaissaient pas le pays, ce qui ferait croire que cette guerre se fit plutôt en-deçà du Danube, s’engagèrent dans un vallon dont les Romains fermèrent toutes les issues. Bientôt la faim les força de demander à traiter de paix. Ils offrirent de se soumettre, pourvu qu’on leur donnât des terres. Le général leur répondit qu’il allait consulter l’empereur. Ils répliquèrent que la faim ne pou voit attendre ces délais, et qu’il fallait répondre sur-le-champ, ou que, tandis qu’il leur restait encore assez de forces pour vendre bien cher leur vie, ils en feraient usage pour mourir en gens de cœur.

Anagaste, après avoir tenu conseil, leur déclara qu’on voulait bien leur fournir des vivres en attendant la réponse de l’empereur, à condition qu’ils partageraient leurs troupes selon l’ordre et la distribution des troupes romaines, en sorte que les officiers romains seraient chargés du soin de nourrir la division qui serait assignée à chacun. Dengisic, outre les Huns, ses sujets naturels, avait rassemblé sous ses enseignes un grand nombre d’aventuriers: c’étaient des Goths qui, depuis la dispersion de leur nation, erraient dans ces contrées, et qui, ne s’étant soumis à aucun prince, vivaient de la solde qu’ils recevaient de ceux auxquels ils engageaient leur service. Ils formaient dans son armée un corps presque aussi nombreux que celui des Huns. Entre les Romains était un lieutenant d’Aspar, nommé Chelcal, Hun de naissance, mais qui, dans le désir d’avancer sa fortune, s’était dépouillé de cette inclination naturelle que l’on conserve ordinairement en faveur de ses compatriotes, même après les avoir quittés. C’était lui qui, dans le conseil, avait ouvert l’avis de diviser ainsi les ennemis pour semer plus aisément la défiance entre les Huns et les Goths, et les armer les uns contre les autres. Chargé de fournir l’étape à une division où les Goths faisaient le plus grand nombre, il assembla les principaux, et leur dit qu’assurément la réponse de l'empereur serait favorable; que ce prince ne consultant que sa bonté naturelle, leur accorderait des habitations; mais que les Huns profiteraient seuls de sa libéralité. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que cette nation n’entend rien à l’agriculture, et qu’elle méprise ce travail? Vous serez leurs laboureurs et leurs esclaves; et pour eux, semblables à des sangliers, ils dévoreront les fruits et les moissons que vous aurez arrosées de vos sueurs. Qu'est devenue celle antipathie originaire qui séparait les deux nations? Vos ancêtres n'ont-ils pas juré que jamais les Goths ne feraient d'alliance avec les Huns? Le parjure a formé votre ligue; l'avilissement et la misère en seront le fruit. Je n'ai pas oublié que je suis moi-même de la race des Huns; mais je ne puis taire ce que me dictent la justice et la compassion que m'inspire votre sort.

Les Goths, séduits par ce ton de bienveillance, conviennent entre eux de se défaire des Huns, dont ils croyaient déjà voir le bras levé sur leurs têtes. Le complot se communique secrètement à toute la nation. Les Goths de chaque division prennent les armes en même temps, et se jettent sur les Huns, qui, étant surpris et séparés, sont taillés en pièces avant que d’être en état de se défendre. Pendant ce massacre, les Romains fondent sur les deux nations, et en font un sanglant carnage. Mais les Goths, s’apercevant qu’on ne les épargne pas, se réunissent; la fureur et la honte de se voir trompés redoublent leurs forces; ils se font jour au travers des bataillons ennemis, et sortent du vallon teints du sang des Huns et des Romains. On ignore la suite de cette guerre. Dengisic échappa du massacre; mais il fut tué deux ou trois ans après par Anagaste. Sa tête, apportée à Constantinople pendant qu’on y célébrait les jeux du Cirque, et plantée an bout d’une lance, servit de spectacle pendant plusieurs jours. Ardabure fut aussi employé dans cette guerre, où l’on rapporte qu’il tua Bigèle, roi des Goths.

Si les Perses n’attaquaient pas dans ce même temps la frontière orientale, on en avait obligation aux barbares leurs voisins. Perose, a peine délivre des mains des Cidarites, avait recommencé la guerre contre cette nation. Pendant qu’il portait toutes ses forces vers l’Oxus, une tribu de ces Igours dont j’ai parlé , nommée les Saragures, après avoir subjugué les Acatires et les autres peuples des environs du Volga, tentèrent d’entrer dans la Perse par les Portes caspiennes. Ce que les auteurs de ce temps-là appellent de ce nom n’est pas ce col étroit que les anciens nommaient ainsi, entre les montagnes qui séparent la Médie du pays des Parthes; c’est le passage resserré entre le mont Caucase et la mer Caspienne, qu’on nommait autrefois les Portes albaniennes, et qu’on appelle aujourd’hui le détroit de Derbend. La forteresse de Juroïpac, située au même lieu où se voit maintenant le château de Derbend, fermait ce passage; et les Saragures, ne pouvant y pénétrer, prirent leur route par l’Ibérie, qu’ils ravagèrent, et se répandirent dans la grande Arménie. Pérose envoya encore demander du secours à Léon, et il en reçut la même réponse que ce prince lui a voit faite deux ans auparavant. Se croyant méprisé de l’empereur, il saisit avec joie l’occasion de lui donner une grande idée de sa puissance. Ayant vaincu les Cidarites, et emporté de force une de leurs places, nommée Balaam, il fit porter à Constantinople la nouvelle de ces succès. Ses députés déployèrent toute la pompe des expressions orientales pour relever cette victoire et les forces de leur maître. Leur vanité n’eut pas lieu d’être satisfaite; Léon les congédia après les avoir écoutés avec indifférence. Il était alors beaucoup plus occupé des inquiétudes que lui donnait Genséric, et d’un événement qui fit un grand éclat à Constantinople.

Isocase était un philosophe païen de la ville d’Eges en  Cilicie. Il vint s’établir à Antioche, et s’y acquit une grande réputation de science et de probité, que Pusée, gouverneur de Syrie, après l’avoir honoré de plusieurs. dignités, lui procura celle de questeur. Il se fit respecter par une intégrité incorruptible dans l’administration de la justice. S’étant ensuite transporté à Constantinople, il fut accusé d’avoir, contre les lois, sacrifié aux idoles, et tramé des complots en faveur de l’idolâtrie, qu’on prétendait qu’il voulait rétablir. Léon, très attentif au maintien de la religion, le fit arrêter et conduire à Chalcédoine, pour y être jugé par Théophile, gouverneur de Bithynie. Il y avait alors à Constantinople un homme de grand crédit, nommé Jacques, premier médecin de la cour, et si estimé de toute la ville, que le sénat lui avait fait dresser une statue dans les thermes de Zeuxippe, où l’on plaçait celles des hommes illustres. Il s’était mis en possession d’en user très-librement avec l’empereur. Lorsque le prince le mandait pour le consulter sur sa santé, Jacques n’attendait pas sa permission pour s’asseoir devant lui; et l’on rapporte qu’un jour les officiers, choqués de cette liberté, et toujours délicats sur l’étiquette , ayant enlevé tous les sièges de la chambre, il s’assit sur le lit où l’empereur était couché, disant que c’était un précepte des anciens maîtres que le médecin n’ordonnât qu’étant assis. Il était du même pays qu’Isocase. Alarmé du danger de son compatriote, il alla représenter à l’empereur qu’un homme de ce mérite et de ce rang ne devait être jugé que par le sénat et par le préfet du prétoire. Léon se rendit à ces remontrances, et fit ramener Isocase à Constantinople. Le sénat s’assembla dans le Zeuxippe. Pusée, pour lors consul et préfet du prétoire, qui présidait au jugement, voyant amener devant lui l’accusé chargé de fers comme un insigne criminel, lui dît d’un ton de reproche: Voyez-vous, Isocase, à quel état vous êtes réduit? Je le vois, lui repartit le philosophe, et je n'en suis pas étonné; je suis homme, et en cette qualité il n'est rien que je ne sois exposé à souffrir. Jugez-moi seulement avec autant d'équité que nous avons ensemble jugé les autres. Ces paroles, prononcées avec fermeté, frappèrent vivement le peuple assemblé en foule autour du tribunal. On implore par une acclamation générale la justice de l’empereur; on arrache Isocase des mains des gardes, on le porte à la grande église, où, s’étant renfermé comme dans un asile, il fut instruit des principes du christianisme, et reçut le baptême. L’empereur, moins irrité de cette émeute populaire que touché de la conversion d’Isocase, le traita comme s’il eût été absous, et le renvoya dans sa patrie. Cette année 467, on vit pendant dix jours une comète ou une nuée embrasée qui avait la forme d’une trompette ou d’une lance. On parle aussi d’un tremblement de terre qui se fit sentir à Ravenne.

 

LIVRE TRENTE-CINQUIÈME. LÉON, ANTHÉMIUS, OLYBRE, GLYCÉRIUS, JULIÜS-NÉPOS, LÉON II, ZÉNON, AUGUSTULE.

 

 

HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.