HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |
HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.
LIVRE TRENTE-QUATRIEME.
LÉON, MAJORIEN, SÉVÈRE II.
Marcien laissait l'empire tranquille et florissant. Il avait
rétabli entre toutes les parties du gouvernement cette heureuse harmonie qui
fait la prospérité des états. Les peuples écoutaient les magistrats comme la
voix du prince; ceux-ci n’excédaient pas les bornes de leur pouvoir; les gens
de guerre attendaient les décisions du sénat, et le sénat était parfaitement
uni. Aspar, qui, sous un prince faible, aurait été trop puissant, avoit conservé son crédit sans oser en abuser. Après la
mort de Marcien, son ambition le sollicitait vivement de s’emparer de l’empire;
mais, étant Alain de naissance, et arien de religion, très obstiné dans
son erreur, il n’espérait pas pouvoir réunir les suffrages. Il aima mieux faire
un empereur, sous le nom duquel il se flattait de régner. Il jeta les yeux sur Léon, simple tribun, qui commandait
à Séiymbrie, et qui lui devait sa fortune, ayant
d’abord été intendant des domaines d’Aspar, et ensuite avancé aux emplois
militaires par la faveur de ce général. Mais l’exemple de Marcien, qui, après
avoir été attaché à son service, s’était montré son maître lorsqu’il fut devenu
empereur, l’engagea à faire ses conditions. Il avait trois fils, Ardabure,
Patrice et Ermenaric : il tira promesse de Léon,
qu’il en élèverait un à la dignité de César. Le tribun promit tout ce qu’on
voulut ; et Aspar, ayant ménagé les esprits des sénateurs, le fit proclamer
empereur, le septième de février, dans l’Hebdome, en
présence de l’armée, qui accepta volontiers pour maître celui que le sénat paraissait
avoir choisi. Léon reçut la couronne des mains du patriarche Anatolius; c’est
le premier souverain qui ait été couronné par un évêque. Il ne paraitpas qu’on ait fait alors aucune mention d’Anthémius,
mari d’Euphémie, fille de Marcien, quoique son beau-père l’eût revêtu des
premières dignités en le faisant consul en 455, maître de la milice, et enfin
patrice. Le nouvel empereur ne conçut même de lui aucune jalousie; il l’employa
dans plusieurs guerres, et le favorisa dans la suite de tout son pouvoir pour
l’élever sur le trône d’Occident.
Léon était né dans la Dace d'Illyrie, ou dans le pays des Besses, hahitans du mont Hæmus. Aussi est-il communément nommé Léon de Thrace. Il était
d’une taille fort mince et fort déliée. Il avait de l’esprit, de la prudence,
des mœurs irréprochables. Son zèle pour la doctrine catholique, son respect
pour les évêques qu’il consultait, et pour le fameux solitaire Daniel, qui vivait
sur une colonne près de Constantinople; sa magnificence dans la fondation de
plusieurs églises, lui ont mérité de grands éloges de la part des papes et des
prélats de son temps. Quoiqu’il fût absolument sans étude, il estimait les savants,
et l’on dit qu’ayant accordé une pension à un philosophe célèbre, nommé Eulogius, comme un de ses eunuques lui représentait que cet
argent serait mieux employé à payer les soldats : Plût à Dieu, dit-il, que
je fusse assez heureux pour n’avoir à payer que les gens de lettres! Il avait
coutume de dire que le prince doit ressembler au soleil, qui répand sa chaleur
bienfaisante sur tout ce qu’il éclaire. Un auteur qui ne lui est postérieur que
d’un demi-siècle fait de ce prince un portrait affreux. Si ou veut l’en croire,
Léon fut un monstre d’avarice et de cruauté : il envahissait les biens de ses
sujets, subornant des délateurs à gages, et supposant lui-même de faux crimes,
lorsqu’il ne trouvait pas de délateurs. Il entassait dans ses trésors l’or de
tout l’empire; et, dépouillant les provinces de l’opulente dont elles avoient
joui sous le règne de Marcien, il les mettait hors d’état de payer les
contributions ordinaires. On ajoute qu’il était inexorable dans sa colère, et
que la flatterie, qu’il aimait autant que les bons princes la détestent, était
l’unique moyen de l’apaiser. Si ces traits odieux sont conformes à la vérité,
du moins lui eut-on l’obligation d’être seul méchant,
et de retenir le caractère violent et emporté de sa femme Vérine. Tant qu’il
vécut, cette princesse hypocrite parut s’éloigner des affaires pour se
renfermer dans les exercices de piété. Dès qu’il fut mort, elle troubla l’empire
par une ambition démesurée, et elle le déshonora par ses débauches.
Aspar, qui avait placé Léon sur le trône, s’attendait
bien à disposer à son
gré de l’empereur et de l’empire. Il le sommait sans
cesse de la parole qu’il lui avait donnée de nommer César un de ses trois fils.
Mais Léon voulait régner, et différait toujours d’exécuter cette promesse. Un
jour qu’Aspar le pressait avec importunité, et que, prenant en main un pan delà
robe impériale, il lui disait : Couvient-il
à celui qui porte cette pourpre de manquer à sa parole ? Il lui convient
encore moins, repartit Léon, de souffrir qu'on lui fasse la loi comme à
un esclave. Le récit de Cédrène est différent. Il
raconte qu’Aspar ayant tiré de l'empereur à force d’importunité une promesse de
conférer à un homme de sa secte la préfecture de Constantinople, Léon, dès la
nuit suivante, en revêtit un catholique; ce qui attira la plainte et la réponse
qui viennent d’être rapportées. La première année du règne de ce prince fut
signalée par un succès éclatant des armes romaines : mais toutes les circonstances
du fait sont restées dans l’obscurité. On ignore jusqu’au nom du peuple vaincu.
Tout ce qu’on sait, c’est qu’une nation barbare, s’étant jet ce dans la
province de Pont avec une armée innombrable, y fut entièrement défaite. D’un
autre côté , les Sarrasins pillèrent la ville de Beihsur en Mésopotamie. Les habitants étaient la plupart idolâtres, et adoraient Vénus,
la grande divinité des Arabes.
En cette même année Alexandrie vit dans son enceinte
une de ces sanglantes tragédies qui ne ce renouvelaient que trop souvent dans
cette ville séditieuse. Dioscore, condamné par le
concile de Chalcédoine, ayant été relégué à Gangres en Paphlagonie, Protérius avait été élu pour remplir
sa place. Cette élection souleva les sectateurs d’Eutychès qui se trouvaient en
grand nombre dans Alexandrie. Ils attaquent les magistrats, accablent de
pierres les soldats qui accouraient pour dissiper les séditieux, et les
obligent de se réfugier dans un ancien temple. On y met le feu; les soldats y
sont brûlés vifs avec l’édifice. Marcien, qui régnait alors, informé de cette
révolte, fit embarquer deux mille hommes, qui arrivèrent le sixième jour dans
le port d’Alexandrie. Ces troupes, envoyées pour contenir les mutins,
augmentèrent le désordre par les violences qu’elles exercèrent sur les femmes
et sur les filles, comme dans une ville prise d’assaut. Florus, qui commandait
dans Alexandrie, retrancha les distributions de blé, ferma les bains publics,
interdit les spectacles; et, comme les séditieux avaient menacé d’arrêter le
convoi qui partait tons les ans pour Constantinople, l’empereur ordonna de
faire descendre par le Nil tout le blé de l’Egypte à Péluse, et non pas à
Alexandrie; ce qui causa la famine, et réduisit ce peuple insolent à recourir
aux larmes et aux prières. Florus se laissa fléchir; et, ayant obtenu grâce de
l’empereur, il rendit aux habitants tout ce qu’il leur avait ôté.
Quatre années se passèrent sans révolte ouverte des
hérétiques, mais non pas sans alarmes de la part de Protérius.
Enfin la nouvelle de la mort de Marcien ranima l'audace du parti de Dioscore. Pendant que Denys, préfet d’Egypte, était occupé
dans la Thébaïde, ils se soulèvent, élisent pour évêque Timothée Elure, et le font sacrer par deux prélats excommuniés. Ce
Timothée était un moine qui, s’étant séparé des catholiques après la
condamnation de Dioscore, s’était mis à la tête de
quelques autres moines infectes, ainsi que lui, des erreurs d’Eutychès. Il était
soutenu de quatre ou cinq évêques condamnés par un concile, et exilés par ordre
de Marcien. Cet imposteur, pour grossir son parti, rôdait de nuit autour des
cellules des moines, et, leur parlant an travers d’une canne creuse, il les appelait
par leur nom, se disant un ange envoyé de Dieu pour leur ordonner de rejeter le
concile de Chalcédoine et de placer sur le siège d’Alexandrie Timothée, son
serviteur. A la première nouvelle de ces troubles, Denys revint en diligence,
et trouvant que Timothée était alors absent d’Alexandrie, il l’empêcha d’y
rentrer. Aussitôt les partisans de celui-ci deviennent furieux; ils courent en foule
à l’église où l’évêque célébrait les saints offices : c’était le 28 de mars,
jour du Jeudi saint. Protérius se réfugie dans le
baptistère; on le poursuit, on le massacre cruellement avec six de ses prêtres;
et, après l’avoir exposé aux insultes des hérétiques dans un lieu nommé Tétrapyle,
on traîne son cadavre par les rues. La rage des meurtriers s’emporte jusqu’à
dévorer une partie de ses entrailles: on brûle le reste, et on en jette les
cendres au vent.
Le récit de ces horreurs fit frémir les deux empires.
Léon, dès les premiers jours de son règne, avait montré son attachement à la
foi catholique, en écrivant aux métropolitains pour confirmer les ordonnances
de ses prédécesseurs, et, en particulier, celles de Marcien en faveur du
concile de Chalcédoine. Plusieurs évêques orthodoxes allèrent à Constantinople
porter leurs plaintes à l’empereur, des violences exercées à Alexandrie. Quatre
prélats hérétiques s’y rendirent aussi avec des lettres de Timothée. Les deux
partis présentèrent leur requête. Les schismatiques demandaient un nouveau
concile, et les orthodoxes ne s’y opposaient pas, quoiqu’ils déclarassent qu’ils ne le jugeaient pas nécessaire. L’empereur, pour ne point
s’ériger en juge de la foi, ni de la discipline ecclésiastique, écrivit une
lettre circulaire à tous les évêques des grands sièges, les priant d’assembler
leurs suffragants, et de lui mander leurs avis sur le concile de Chalcédoine et
sur l’ordination de Timothée. Il consulta même plusieurs solitaires célèbres
par leur sainteté; et, comme il ne rejetait pas la proposition d’un nouveau
concile, il écrivit au pape Léon pour l’inviter à se rendre en Orient. Le pape
lui répondit sur-le-champ que la cause avait été jugée sans retour à
Chalcédoine, et que, renouveler les disputes au gré du parti condamné, c’était
les rendre interminables. Il ne voulut pas même dans la suite consentir à une
conférence demandée par les partisans de Timothée. Tous les métropolitains, à
l’exception d’un seul, firent à l’empereur la même réponse; que les décisions
du concile de Chalcédoine étaient saintes et irrévocables; qu’il n’était pas
besoin d’un nouveau concile; que Timothée n’était qu’un hérétique meurtrier,
qui, loin d’avoir aucun droit sur l’église d’Alexandrie, ne méritait que des châtiments.
Léon, assuré par ce concours unanime, envoya le duc Stylas pour punir les
coupables et chasser l’usurpateur, qui persécutait les catholiques avec une
extrême cruauté. Le duc fit couper la langue à ceux qui avoient eu part au
meurtre de Protérius. Timothée obtint la permission
de venir à Constantinople. Il était appuyé de la protection d’Aspar et de celle
de Basilisque, frère de l’impératrice Vérine, et
attaché dans le cœur aux sentiments d’Eutychès. Mais les remontrances de saint
Léon, qui se hâta de prévenir le prince, eurent plus de succès que les
intrigues et les artifices. Timothée fut relégué à Gangres,
où Dioscore avait fini sa vie; et comme il continuait
d’y dogmatiser et d’y exciter des troubles, Léon donna ordre de le conduire à Chersone, ville de la Chersonèse Taurique, que les Grecs
avoient nommée autrefois Héraclée. Il y fut retenu sous bonne garde
jusqu’à ce que Basilisque, étant devenu maître de
l’empire, le rappela, ainsi que je le rapporterai dans la suite. On plaça sur
le siège d’Alexandrie un autre Timothée, surnommé Solofaciole,
qui ne ressemblait que de nom à ce scélérat. Cette grande affaire, que nous
avons racontée sans interruption, ne fut terminée qu’en 460.
Depuis la mort d’Avitus, Marcien, et après lui Léon, avaient
le titre de souverains en Occident; mais la puissance réelle était entre les
mains de Ricimer. Etant né Suève, il ne pouvait se flatter d’obtenir jamais la
dignité impériale; mais il pouvait la donner. Julius Valérius. Majorianus, connu par sa valeur et par ses autres qualités éminentes,
était lie d’amitié avec ce barbare. Il avait pris part à sa révolte contre
Avitus. Ricimer se persuadait qu’un guerrier sans expérience dans la conduite
des affaires se regarderait toujours comme sa créature, et se gouvernerait en
tout par ses conseils. Il songea donc à l’élever à l’empire. Afin de lui en
ouvrir le chemin, il obtint pour lui-même de Léon le titre de patrice, et pour
Majorien celui de général des troupes d’Occident. Ces deux dignités leur furent
conférées le même jour, vingt-huitième de février. Majorien eut aussitôt
occasion d’exercer le pouvoir que lui donnait sa charge. Ayant appris que neuf
cents Allemands étaient descendus dans la Rhétie, et qu’ils ravageaient les
plaines nommées Campi canini,
dans le pays des Lépontiens, près du lac Verlanus, dit aujourd’hui le lac Majeur, il envoya
contre eux un officier nommé Burcon, qui les tailla
en pièces. Cependant Ricimer disposait les esprits à seconder ses intentions.
Il obtint l’agrément de Léon; et, vers la fin de celte année, Majorien, du
consentement de tous les ordres de l’état, fut proclamé Auguste dans une
campagne appelée les petites colonnes, à deux lieues de Ravenne.
Ricimer avait mieux choisi qu’il ne désirait. Majorien avait
trop de mérite pour faire sur le trône un rôle subalterne. Il s’était instruit
du métier de la guerre sous les ordres d’Aétius; et, après s’être distingué dès
l’an 438 dans un combat contre les Francs , il avait continué de se signaler
dans toutes les guerres. Il s’était formé aux vertus civiles sous un maître
encore plus capable de donner de bonnes leçons; c’était la disgrâce. Banni de
la cour par la mortelle jalousie de la femme d’Aétius, et retiré dans ses
terres , il avait eu le loisir de réfléchir sur les obstacles que rencontre la
vérité pour pénétrer jusqu’aux oreilles des souverains, sur les cabales qui
leur font perdre leurs plus utiles serviteurs, sur la misère des peuples
dévorés par ceux qui sont commis pour les gouverner, les juger et les défendre,
et sur tant d’autres objets, que les nuages qui environnent le trône dérobent à
la vue des princes. Né avec un esprit supérieur, toujours occupé de grands
desseins, aussi constant que vif à les poursuivre, actif, infatigable,
intrépide, la puissance souveraine lui donna le moyen de développer tout ce
qu’il avait de talents et de vertus. Il se rendit, par ses qualités guerrières,
formidable aux ennemis de l’empire. Sa bonté, sa libéralité , sa franchise, et
cette gaîté noble, qui, sans se rabaisser, porte la joie dans tes cœurs, le rendait
cher à ses sujets. A ces qualités de l’âme il joignait celles du corps, la
force, l’agilité, l’adresse dans tous les exercices. Il semblait que la
Providence l’eût réservé pour relever l’empire penchant vers sa ruine ; elle avait
réuni dans sa personne les vertus de ses prédécesseurs, sans mélange d’aucun de
leurs vices.
Valentinien avait laissé l’état dans un grand désordre.
Les deux régnés suivants avoient passe comme deux orages. Les provinces se dépeuplaient,
les hommes puissants tyrannisaient les peuples, et les impôts publics achevaient
de les dépouiller. La misère, qui engendre les mêmes crimes que l’excessive
opulence, avait entièrement corrompu les mœurs. Majorien se proposa de remédier
à ces maux. Il rétablit dans chaque ville des défenseurs pour mettre les faibles
à couvert de l’oppression, selon l’institution de Valentinien Ier, et publia de
sages règlements pour rendre aux corps municipaux leur ancienne splendeur. Il
fit une remise générale de ce qui était dû au fisc jusqu’au commencement de son
règne, et ordonna que les impôts fussent désormais levés par les gouverneurs de
provinces, et non par les officiers du fisc, qui s’étaient fait un art de
ruiner les peuples à force d’exactions. Le zèle de Majorien pour l’honneur de
la religion lui fit jeter les yeux sur les monastères. Il fut touché de
compassion d’y voir tant de victimes de l’indigence ou de l’ambition de leurs parents,
qui, pour avantager leurs autres enfants, forçaient la vocation de leurs
filles, et les renfermaient, dès leur première jeunesse, dans ces prisons sacrées,
qu’elles déshonoraient souvent par leurs désordres. Plein de respect pour la
vie religieuse, il voulut qu’elle ne fût embrassée qu’avec une entière liberté,
et après une mûre délibération. A cet effet, il défendit de donner le voile aux
religieuses avant l’âge de quarante ans, et ordonna que les parents qui les engageraient
avant cet âge fussent privés du tiers de leurs biens; et que les diacres qui auraient
prêté leur ministère fussent proscrits. Il traite, dans sa loi, cette violence
de parricide, et permet aux filles qui l’ont éprouvée de rentrer en possession
de leurs droits, et de se marier lorsqu’elles deviendront libres par la mort de
leurs pères, pourvu qu’elles n’aient pas encore atteint l’âge de quarante ans.
Par un semblable motif, il défend dans une autre loi de forcer personne à
entrer dans l’état ecclésiastique, et il permet à ceux qui auront souffert
cette contrainte de se pourvoir par-devant les juges civils, pour être relevés
de leur engagement. L’archidiacre sera condamné à dix livrés d’or, au profit de
celui qu’il aura forcé, et l’évêque sera envoyé au pape pour être puni. S’il y
a collusion de la part des pères et des mères, ils sont condamnés à céder à ce
fils le tiers de leurs biens. Majorien excepte nommément ta violence faite à quelqu’un
pour le contraindre d’accepter l’épiscopat: il savait trop bien qu’on n’est
obligé d'y forcer que ceux qui le méritent davantage. Il défend, sous peine de
mort, d’arracher de l’asile de l’église ceux qui s’y sont réfugiés. Il
renouvelle les peines prononcées par ses prédécesseurs contre le rapt des
filles consacrées à Dieu. Dans la loi qui favorise la liberté des vœux, il réforme
aussi les abus de la viduité. Entre les veuves il distingue celles qui ne se
remarient point par tendresse pour leurs enfants de celles qui, n’ayant point
d’enfants de leur mariage, ne restent dans la viduité que pour mener une vie
plus libre. Il loue les premières, et leur laisse la liberté de demeurer
veuves. Mais il veut que les autres, si elles sont au-dessous de quarante ans,
soient obligées de se remarier dans l’espace de cinq ans après la mort de leur
premier mari, ou de céder la moitié de leurs biens à leurs héritiers naturels,
si elles en ont; au fisc, si elles n’en ont pas. Il ôte aux mères le pouvoir
d’avantager un de leurs enfants au préjudice des autres, ce qui leur était
permis par les lois précédentes. Il veut que, si celles qui ont des enfants
laissent en mourant leur bien à l’église, ou à des héritiers étrangers, sans
cause légitime d’exhérédation de leurs enfants, le testament soit nul. Pour
diminuer cette avidité, si voisine de la friponnerie, qui sait, par de légères
amorces, attirer de riches héritages, il ordonne que quiconque sera institué
héritier ou légataire sans y avoir un droit naturel sera obligé de rendre au
fisc le tiers de ce qui lui aura été laissé. Rogatien, gouverneur de Toscane, avait
relégué pour un temps un homme convaincu d’adultère: celui-ci n’ayant point
obéi à la sentence, Majorien fut consulté, et répondit que la peine imposée était
trop légère pour un crime si énorme : il enchérit en ce point sur les lois de
ses prédécesseurs, ordonnant que le coupable soit banni à perpétuité hors de
l’Italie entière, et que tous ses biens soient confisqués; s’il ne garde pas son
ban, l’empereur permet à quiconque le reconnaîtra de le tuer, même dans
l’enceinte de la ville de Rome; et il veut que cette sentence tienne lieu de
loi perpétuelle, pour faire connaitre, dit-il, que l'honneur du
mariage est sous la garde publique. Telles sont les lois de Majorien. Sévère,
son successeur, jugea à propos d’abolir la plus célèbre, celle qui concernait
la liberté des religieuses et le mariage des veuves. Il y a cependant beaucoup
d’apparence que la loi qui défend de donner le voile aux filles avant qu’elles
aient atteint l’âge de quarante ans avait été publiée par le conseil de saint
Léon. Ce pape , si sage et si éclairé, en fit, par une ordonnance expresse, un
point de discipline ecclésiastique.
Les meilleures lois deviennent inutiles quand le prince
ne sait pas choisir ceux qui sont chargés de les faire exécuter. Majorien fut
secondé par des officiers d’un grand mérite, soit dans l’ordre civil, soit dans
l’ordre militaire. On ne peut lui faire honneur de ce qu’il nomma Ricimer au
commandement des armées: ce choix était indispensable; il devait la couronne à
ce guerrier; et dès qu’il fut empereur , il lui rendit la charge de général,
que Ricimer lui-même lui avait auparavant procurée. On fait de grands éloges
d’un secrétaire nommé Pierre, auquel il donna sa confiance, et qui joignait à
une probité irréprochable des connaissances fort étendues, et le talent de bien
écrire en prose et en vers. Egidius, fameux dans les annales de notre nation,
commanda les troupes de la Gaule, où il était né. Il tirait, ainsi que Ferréol,
son origine de Syagrius, consul en 382. Cet Egidius inspira aux Francs une si
haute estime de son courage, qu’ils le choisirent pour leur roi, comme nous le
dirons en son lieu. Marcellin, dont nous avons déjà parlé, n’était pas moins
recommandable par ses talents militaires. Majorien lui conféra la dignité de
patrice, et l’envoya à la tête d’un corps de Goths en Sicile, pour mettre cette
île à couvert des incursions de Genséric. Magnus était encore un des plus
accrédités à la cour de Majorien. Né à Narbonne, il descendait de Philagre,
préfet d’Orient en 382. Sidonius lui attribue les qualités les plus estimables.
Il fut fait préfet des Gaules sur la fin de l’année suivante, à la place de Pœonius, qui, par une hardiesse singulière, s’était emparé
de cette charge.
Ce Pœonius, dont nous avons
fait mention au sujet not. des complots de Marcellin, voyant celui-ci découragé
par tant de révolutions subites, n’osa prendre sa place et aspirer à l’empire.
Ce n’est pas qu'il manquât ni d’ambition ni de richesses. Il amassait beaucoup
d’argent par une épargne sordide, et le prodiguait ensuite pour s’élever. Il avait
de plus cette affabilité grossière, et ce langage populaire si propre à gagner
la multitude, et à exciter la sédition. Mais la bassesse de sa naissance lui parut
un obstacle invincible. Après la mort d’Avitus, il se contenta de profiter de
l’interrègne, pour se déclarer préfet des Gaules, de sa seule autorité.
Majorien, élevé à l’empire, craignit de causer une guerre civile s’il entreprenait
de le dépouiller. Il prit le sage parti de lui envoyer le brevet de cette
charge, et lui en laissa l’exercice pendant une année entière, après laquelle
sa puissance étant affermie, il lui donna Magnus pour successeur. Cette
habileté du prince lui gagna le cœur de Pœonius, dont
la vanité satisfaite ne songea plus qu’à jouir de la considération que lui laissait
le titre d’ancien préfet.
La nouvelle de la déposition d’Avitus, bientôt suivie de
celle de sa mort, affligea sensiblement Théodoric. Il aimait tendrement ce
prince; il l’avait élevé à l’empire, et jugea bien que celui qui profiterait
des dépouilles d’Avitus se déclarerait ennemi des Visigoths. II résolut de
terminer au plus tôt les affaires d’Espagne pour retourner dans ses états.
Pendant l’hiver qu’il passa en Lusitanie , il y ruina beaucoup de villes, et
réduisit, par un siège, Mérida, capitale de la province. Il en sortit au
commencement d’avril pour repasser en Gaule; et, comme il apprenait qu’Agiulfe, qu’il avait laissé en Galice, s’était joint aux
Suèves, et se faisait reconnaître pour souverain, il détacha une partie de son
armée sous la conduite de ses meilleurs capitaines, avec ordre de marcher
contre le rebelle, et de lui ôter la vie. Ces troupes étant arrivées devant
Astorga, qui tenait pour les Romains, se présentèrent comme des alliés qui demandons
seulement le passage, pour aller faire la guerre aux Suèves, leurs communs
ennemis. Mais, dès qu’elles furent entrées, elles firent bien connaitre qu’il
n’y avait plus d’alliance entre les Romains et les Visigoths. Au signal donné,
elles massacrent les habitants sans distinction, forcent les églises, enlèvent
les vases sacrés, renversent les autels. Deux évêques, qui se trouvaient dans
la ville, sont emmenés prisonniers avec leur clergé : on met le feu aux
maisons, et on ravage toute la campagne d’alentour. Palentia n’est pas mieux traitée. Mais les Visigoths, ayant assiégé le château de Caviac, à dix lieues d’Astorga, y consumèrent beaucoup de
temps, et furent obligés de se retirer avec une perte considérable. Ils
continuèrent leur marche pour aller chercher Agiulfe.
Ce perfide ayant été défait et pris dans une bataille, eut la tête tranchée à Portucal, au mois de juin, et cette armée de Visigoths
retourna en Aquitaine. Les Suèves, qui avoient suivi le parti d’Agiulfe, se divisèrent en deux factions ; les uns se soumirent
à Maldra, qui avait succédé à Réchiaire; les autres se donnèrent un roi, nommé Frantane. Maldra entra en Lusitanie, et s’empara de
Lisbonne.
An. 458.
Frantane étant mort l’année suivante, tous les Suèves se réunirent sous le commandement
de Maldra, et ravagèrent les bords du fleuve Douro. Les conquêtes de Théodoric étaient
presque entièrement perdues pour les Visigoths: mais ce prince n’avait pas
renoncé au dessein de s’emparer de l’Espagne. Il y envoya une armée sous la
conduite de Cyrila, qui pénétra jusque dans la
Bétique. Peu de temps après, Cyrila fut rappelé, et Suniéric alla prendre sa place avec de nouveaux renforts.
Les Suèves continuaient leurs ravages; et tandis que Maldra désolait la
Lusitanie, Rémismond, son fils, achevait de ruiner ce
qui appartenait aux Romains dans la Galice. Une troupe d’Hérules vint encore
accroître ces désordres. Ayant débarqué sur les côtes de Galice, ils commirent
d’horribles cruautés aux environs de Lugo, traversèrent toute l’Espagne, et s’avancèrent
jusque dans la Bétique, où ils furent apparemment exterminés par Suniéric, car l’histoire n’en parle plus. Portugal tenait
encore plus les Visigoths; Maldra s’en rendit maître; mais les habitants du
pays, irrités du meurtre de quelques seigneurs, se révoltèrent contre lui, et
ce prince cruel, qui avait fait assassiner son propre frère, fut lui-même
massacré la troisième année de son règne. Ce n’était dans cette malheureuse
contrée que ravages, perfidie, cruauté. Les Suèves habitaient la ville de Lugo,
conjointement avec les Romains originaires, qui avoient leur chef particulier.
Pendant les fêtes de Pâques les Suèves se jetèrent sur les Romains, qui ne songeaient
qu’à célébrer ces saints jours, et les égorgèrent avec leur chef. Népotien,
général des armées de Théodoric, était venu joindre Suniéric dans la Bétique; ils envoyèrent une partie de leurs troupes à Logo pour y
surprendre les Suèves. Mais des traîtres qui se trouvaient dans ce détachement
ayant donné avis de leur marche, ils revinrent sans avoir rien fait que quelque
pillage. Quoique la Galice ne fût plus qu’un monceau de cendres et de ruines, Rémismond et Frumaire s’en
disputaient la souveraineté, et s’efforçaient de la mériter par de nouveaux
ravages. Frumaire, d’intelligence avec de perfides habitants,
s’empara de Chiaves. Il fit prisonnier Idace, évêque
de cette ville, et auteur de la chronique qui nous instruit de tous ces événements.
Ce prélat trouva moyen, trois mois après, de se retirer des mains des Suèves,
et de revenir à Chiaves. Rémismond,
de son côté, désolait le territoire de Lugo et d’Orence.
Cependant Suniéric poussait ses conquêtes; il se
rendit maître de Scalabis, aujourd’hui Santaren, sur le Tage. Pendant la confusion de ces guerres,
la paix se renouvelait de temps en temps entre les Suèves et les Visigoths,
pour être aussitôt rompue. On ne cessait de voir des députés passer de Galice
en Aquitaine, et d’Aquitaine en Galice, pour porter de part et d’autre des
propositions d’accommodement. Ce détail renferme tout ce qu’on sait de ces
guerres jusqu’à la mort de Majorien.
Les deux empereurs ayant pris le consulat, selon la
coutume, pour l’année 458, la première qui commençait depuis leur avènement à
l’empire, Majorien, qui était encore à Ravenne, écrivit au sénat une lettre
remplie de modération et de sagesse. « Souvenez-vous (dit-il aux sénateurs )
que par une élection absolument libre, de concert avec notre invincible armée,
vous m’avez conféré la dignité impériale. Je ne l’ai acceptée que pour obéir à
la voix publique, ne voulant pas vivre pour moi seul, ni me montrer ingrat
envers la patrie, à laquelle je dois tout ce que je suis. Veuille la divine
Providence justifier votre choix en m’accordant des succès pour votre avantage
et pour celui de l’état! Le jour des calendes de janvier, j’ai pris, sous
d’heureux auspices, les faisceaux consulaires, afin que la présente année,
ajoutant ce nouvel honneur à notre empire naissant, soit marquée de notre nom.
Aidez de vos conseils celui que vous avez fait empereur. Agissons de concert
pour le salut et l’honneur de l’empire. Soyez assurés que je ferai régner la
justice, et que les récompenses seront réservées à la vertu. Qu’on ne craigne
point les délateurs; je les ai condamnés lorsque j’étais particulier; il ne me
reste qu’à les punir. La calomnie ne pourra nuire qu’à celui qui en sera
l’auteur. J’aurai soin des affaires militaires avec mon père , le patrice
Ricimer. Fasse le ciel que, par notre commune vigilance, l’empire romain ne
reçoive aucune atteinte, ni des ennemis étrangers, ni de ceux qui attaquent sa
constitution intérieure! Je me flatte que vous rendez justice à la pureté de
mes intentions. Après avoir partagé vos périls et vos inquiétudes, j’ose me
promettre votre attachement. Pour ce qui regarde les affaires publiques, vous
trouverez en moi l’autorité d’un empereur, avec la déférence d’un collègue; et
si le ciel seconde mes désirs, j’espère ne pas démentir le jugement que vous
avez porté en ma faveur.»
Le secours que ce prince religieux attendait de la divine
Providence ne lui manqua pas au besoin. Les. côtes de la Campanie furent
attaquées par une flotte nombreuse, chargée de Vandales et de Maures. Elle était
commandée par Sersaon, beau-frère de Genséric. Les
Maures débarquèrent entre le Liris et le Vulturne, et
se mirent à piller le territoire de Sinuesse, qui s’étendit
de la mer au mont Massique. Les Vandales, demeurant dans leurs vaisseaux, attendaient
tranquillement le butin que les Maures dévoient leur apporter. Pour garantir de
ces pillages si fréquents les côtes de l’Italie, Majorien avait disposé des
corps de troupes qui, de poste en poste, pourvoient aisément se réunir et
défendre l’endroit attaqué. A l’approche des barbares, un corps nombreux de
Romains se trouva bientôt rassemblé près de Sinuesse.
Ils fondirent sur les Maures; et, leur ayant coupé le retour vers la mer, ils
les chassèrent vers les montagnes. Les Vandales, pour courir au secours de
leurs gens, sortent de leurs vaisseaux. Il se livre un combat sanglant où les
Vandales sont défaits et forcés de regagner la mer en désordre, laissant sur le
champ de bataille Sersaon percé de coups. On fit
encore un plus grand carnage des Maures, qui furent assommés dans les
montagnes.
L’unique moyen de faire cesser ces ravages était d’aller
attaquer Genséric en Afrique, et de ruiner sa puissance. C’était un projet dont
Majorien était occupé, et il faisait, à ce dessein, de grands préparatifs.
Mais, avant que d’entamer une entreprise si difficile, il fallait pacifier la
Gaule, ou Théodoric avait soulevé plusieurs peuples contre le nouvel empereur.
Ce prince, jusqu’alors ennemi mortel de Genséric, s’était réconcilié avec lui
par la haine qu’il portait à Majorien, et les deux fois travaillaient à engager
les Suèves dans leur parti. Egidius, commandant des troupes de la Gaule, défendait
la province avec courage. Ce général, assiégé dans une ville qui n’est pas
nommée, voyant arriver un secours considérable, fit une si vigoureuse sortie,
qu’il dissipa entièrement les troupes de Théodoric, joignit le secours, et
marcha vers Lyon, qui avait reçu les Visigoths. Il fallut assiéger la ville,
qui souffrit beaucoup pendant ce siège. Forcée enfin de se rendre, elle fut
dépouillée de ses privilèges, et obligée de recevoir une garnison, qui n’y fit
guère moins de désordre que n’en auraient fait des ennemis. Pierre, secrétaire
de Majorien, envoyé peu de temps après dans cette ville, eut compassion de ses
malheurs: il y prit des otages, et obtint de l’empereur qu’il lui pardonnerait
sa révolte, et qu’il en retirerait la garnison. Arles fut assiégée par
Théodoric. Egidius en fit lever le siège.
Majorien, retenu jusqu’alors en Italie, partit de Ravenne
après le combat de Sinuesse et la retraite des
Vandales. Il prit le chemin de la Gaule pour achever de rétablir la
tranquillité dans cette province. Son dessein était de passer ensuite en
Espagne, où sa flotte devait le venir joindre pour le transporter en Afrique
avec son armée. Il avait rassemblé un grand nombre de barbares, les uns
confédérés, les autres sujets de l’empire. On voyait à la suite des Bastarnes, des Suèves, des Huns, des Alains, des Ruges, des Bourguignons, des Ostrogoths, des Sarmates. Les
habitants des bords du Tanaïs et ceux du Caucase venaient se ranger sous ses
étendards. La renommée de ce prince, autant que l’espérance de s’enrichir des
trésors de Genséric, les avait attirés à cette célèbre expédition. A la tête
d’une partie de ces troupes, Majorien se mit en marche au mois de novembre pour
passer les Alpes, malgré les glaces et les frimes de l’hiver. Dès la première
journée , les Huns auxiliaires, excités par leur chef Tuldila,
se mutinèrent et refusèrent de marcher. L’empereur n’eut pas besoin de châtier
cette désobéissance. Les autres barbares ne prenant l’ordre que de leur
indignation, se jettent sur les mutins, les taillent en pièces, et punissent
eux-mêmes, ce qui pouvait être pour eux d’un dangereux exemple. L’armée, se
soutenant à peine sur les glaces, et presque ensevelie dans les neiges, traversait
les Alpes avec une fatigue incroyable. Un officier barbare, qui conduisait
l’avant-garde, transi de froid et perdant courage, quoiqu’il fût né dans les
frimas du nord, s’arrêta en murmurant, et retint toutes les troupes, qui le suivaient
en files serrées dans ces sentiers étroits et glissants. Alors Majorien, qui marchait
lui-même à pied pour encourager ses soldats en partageant leurs fatigues, vole
à la tête des bataillons, et, prenant les devants, assurant ses pas avec sa
pique, par cet exemple plus puissant que les ordres les plus sévères, il
entraîne après lui toute l’armée.
Depuis la mort de Valentinien II, pendant l’espace de 66
ans, la Gaule, tantôt envahie par des tyrans, tantôt désolée par des barbares,
n’avait point vu son empereur. Majorien alla d’abord à Lyon, qui se ressentait
encore des suites fâcheuses de sa révolte. Sidoine, attaché à la mémoire de son
beau-père Avitus, et regardant Majorien comme son ennemi personnel, s’était
engagé dans la rébellion. Il avait obtenu son pardon en même temps que les
autres habitants. A l’arrivée de l’empereur, il prononça le panégyrique en vers
que nous avons encore, et dans lequel il relève par de pompeux éloges les
actions du prince, et le dessein qu’il a formé de délivrer l’Afrique.
Peu s’en fallut qu’une révolution surprenante ne rendît
aux Romains toute la partie septentrionale de la Gaule, que les conquêtes des
Francs leur avoient enlevée. Après la mort d’Aétius, Mérovée, pour étendre ses
états, avait passé la Somme, et, à la faveur des troubles de l’empire, il avait
conquis en trois ans tout le pays jusqu’à la Seine. Etant mort cette année, il
eut pour successeur son fils Childéric, qui, dès le commencement de son règne,
se rendit odieux par ses débauches effrénées. Ses sujets s’étant révoltés, ce
jeune prince fut obligé de s’enfuir en Thuringe. Le choix que firent les
François pour remplir sa place serait incroyable, s’il n’était attesté par tous
les historiens. Quoique la nation fût bien résolue de conserver ses conquêtes,
et de maintenir son indépendance, elle donna la couronne à Egidius, dont elle estimait
la valeur et la justice. Egidius, auparavant ennemi, alors roi des Francs, fut
assez habile pour réunir deux dignités qui semblaient se détruire, indépendant
de l’empire en qualité de roi, obéissant aux empereurs, comme général de leurs
armées, jusqu’à sa révolte contre Sévère. Ce qui augmente le paradoxe, c’est
que, pendant près de huit années que dura un assortiment si bizarre, Egidius,
maître tout ensemble de la nation Franc et des troupes romaines de la Gaule,
n’ait pas tenté ou d’enlever la Gaule entière aux Romains pour accroître sa
puissance, ou de leur rendre les conquêtes des Francs, ce qui aurait pu lui
procurer à lui-même la couronne impériale. Nous ne sommes pas assez instruits
des détails de ces temps-là pour prononcer lequel des deux eût été plus facile,
et quelle raison a pu empêcher Egidius de l’entreprendre. Je crois cependant
qu’il lui était plus aisé de dépouiller les Romains que les Francs. La
puissance de ceux-ci était récente, mais aussi plus verte et plus vigoureuse.
D’ailleurs il est à croire qu’Egidius était éclairé de près par le conseil de
la nation; et que surtout Viomade, homme puissant et
ami secret du roi fugitif, était attentif à veiller sur ses démarches, pour ne
pas laisser anéantir un royaume qu’il espérait bien rendre un jour à Childéric.
L'histoire de l’Orient ne nous fournit, pour cette année ni
pour les deux suivantes, aucun événement mémorable, si ce n’est un violent
tremblement de terre qui détruisit une grande partie d’Antioche. Les empereurs
avaient à l’envi décoré cette ville de palais, de portiques et de bains
publics. Mais la débauche y était portée aux derniers excès, et l’on regarda
comme un effet de la colère divine le fléau dont elle fut alors affligée. Le q4
de septembre 458, à dix heures du soir, la partie qu’on appelait la ville
neuve, et qui était la plus magnifique et la plus peuplée, fut tout à coup
ébranlée et presque entièrement renversée. Le reste de la ville ne souffrit
aucun dommage. La ruine de tant de beaux édifices fut réparée par les
libéralités de Léon. Il remit sur les impôts la somme de mille talents d’or,
qui font plus de quatre millions de livres de notre monnaie. Il déchargea de
toute contribution ceux dont les maisons avoient été détruites ou endommagées,
à condition qu’ils auraient soin de les rétablir, et donna de grande sommes
pour relever les bâtiments publics. Ce tremblement se fit sentir dans
l’Isaurie, dans l'Ionie, dans l’Hellespont, et jusque dans la Thrace, et dans
les îles Cyclades. Plusieurs édifices tombèrent à Cnide et dans l’île de Cos.
Deux ans après, Cyzique éprouva le même désastre. Une partie des murailles
s’écroula, et grand nombre d’habitants furent abîmés ou écrasés sous les ruines
de leurs maisons.
An. 459.
Majorien ne séjourna pas longtemps à Lyon. Après avoir
donné ses ordres pour rendre à cette ville son ancien lustre, il alla passer
l’année suivante dans la ville d’Arles, où il avait donné rendez-vous au reste
des troupes qu’il devait conduire en Afrique. On travaillait à l’équipement
d’une flotte dans les ports d’Aquilée, de Ravenne et de Misène. Elle devait
être forte de trois cents vaisseaux. Cependant Théodoric, ayant rappelé
d’Espagne le général Cyrila, était d’abord résolu de
continuer la guerre. Un combat dans lequel il fut défait le fit changer de
dessein. Il se détacha de l’alliance de Genséric pour en contracter une nouvelle
avec Majorien, qu’il s’engagea même à secourir contre les Vandales.
Au commencement de l’année suivante, 460, tout était prêt
pour l’expédition. L’armée était rassemblée aux portes d’Arles, et la flotte à
l’ancre dans le golfe d’Alicante, près de Carthagène, attendait les ordres de
l’empereur pour g se rendre au détroit de Cadix, où elle devait prendre les
troupes de terre et les transporter en Afrique. Majorien, ayant passé les
Pyrénées, se rendit à Saragosse au mois de mai. Sa réputation de valeur inspirait
à ses soldats les plus heureuses espérances, et faisait craindre à Genséric une
guerre périlleuse. Le roi des Vandales tenta d’abord les voies d’accommodement;
mais l’empereur ne voulant point y entendre, Genséric commença par faire le
dégât dans la Mauritanie, ruinant toutes les subsistances, et empoisonnant
toutes les eaux. Ils prit encore un moyen beaucoup plus sur pour faire échouer l'entreprise de Majorien. Il pratiqua des intelligences sur
la flotte romaine, et il y trouva des traîtres qui préférèrent l’argent au
devoir et à l’honneur, et qui livrèrent leurs vaisseaux aux Vandales lorsque
ceux-ci se présentèrent comme pour combattre. Majorien , ayant appris cette
nouvelle pendant qu’il approchait de Carthagène, se vit forcé de repasser les
Pyrénées et de retourner à Arles pour réparer la perte de sa flotte. Genséric,
lui ayant une seconde fois envoyé des députés, le trouva plus disposé à écouter
ses propositions. On ignore les conditions du traité; mais la paix fut conclue
pendant l’hiver suivant, que Majorien passa dans la Gaule. Les Alains de
l’Armorique prirent les armes, et furent réprimés par Egidius. On croit que c’était
Genséric, qui, par des intrigues secrètes, les avait mis en mouvement.
An. 461.
L’empereur, après avoir fait la paix avec les Visigoths
el les Vandales, et assuré par ce moyen les frontières de l’Italie par terre et
par mer, revenait à Ravenne, lorsque Ricimer, jaloux de la puissance
souveraine, et regardant comme une usurpation l’autorité légitime que Majorien exerçait,
forma le dessein de l’en dépouiller, et l’exécuta par un complot de ses
partisans dans le Milanais, le second jour d’août: d’autres disent le 7 de
juillet. Il le fit tuer cinq jours après à trois lieues de cette ville sur les
bords de la rivière d’Iria. Ces liens sacrés et
indissolubles qui attachent les sujets à leur souverain étaient alors tellement
affaiblis, qu’il ne parait pas qu’on ait fait aucun effort pour défendre ni la
couronne ni même la vie d’un prince si digne d’être conservé. Il avait régné
trois ans et sept ou huit mois. Il fut enterré sans pompe; et la simplicité de
son tombeau, comparée avec les fastueux monuments de tant de mauvais princes, faisait
naître des réflexions plus honorables pour lui que les plus superbes mausolées.
Quatre mois avant la mort de Majorien, l’Eglise avait perdu son chef, et
l’Occident sa principale défense et son plus grand honneur dans la personne du
pape saint Léon. Il était mort le onzième d’avril.
Ricimer, pour ne pas être trompé cette fois dans le
projet qu’il a voit formé de régner sous le nom d’un autre, choisit un homme
sans réputation comme sans mérite, propre à porter, ainsi qu’une statue, la
pourpre impériale. C’était un Lucanien, nommé Vibius Sévérus, et surnommé Serpentin. Tout ce qu’on rapporte de
lui avant sou règne, c’est qu’il fut complice de la mort de Majorien. Ricimer,
maître des suffrages, le fit proclamer Auguste à Ravenne le 19 ou le 20 de
novembre; et, peu de jours après, le sénat de Rome fut obligé de confirmer
cette élection.
Léon n’avait pas été consulté; aussi ne reconnut-il pas
d’abord Sévère pour son collègue. Ce prince était alors en guerre avec les
Ostrogoths. Marcien s’était engagé leur payer tous les ans une somme à titre de
récompense de leur fidélité. Léon, différant d’acquitter cette convention, ils
lui envoyèrent des députés, qui furent témoins des distinctions honorables qu’on
accordait a Théodoric, fils de Triarius, et aux Goths
de sa suite. Ce Théodoric, surnommé le Louche, était un prince
Ostrogoth, mais d’une autre race que celle des Amales.
Dans les troubles qui suivirent la mort d’Attila, il s’était rendu indépendant;
et, suivi d’une troupe d’aventuriers de sa nation qui s’étaient attachés à sa
fortune, il avait fixé son séjour à la cour de Constantinople, dans laquelle il
avait un grand crédit, parce qu’il était frère ou neveu de la femme d’Aspar. On
lui forma un petit état, dans la Thrace, avec une pension annuelle. Les députés
de Valamir étant revenus en Pannonie sans avoir obtenu ce qu’ils demandaient,
ce prince, piqué de jalousie, et se croyant méprisé, prend les armes avec ses deux
frères. Ils ravagent l’Illyrie, détruisent plusieurs villes, battent le
commandant de la province, qui, après sa défaite, abandonna le pays. Léon
envoya contre eux Anthémius, gendre de Marcien. Ce général remporta quelques
avantages, et obligea les Ostrogoths de regagner la Pannonie, où il n’osa les
poursuivre. On ne pouvait se promettre un long repos de la part de ces
guerriers entreprenants. Pour s’épargner une continuelle inquiétude, l’empereur
prit le parti de les satisfaire. Il leur envoya des députés pour se plaindre de
l’infraction du traité; et, sur les plaintes qu’ils firent à leur tour de ce
qu’on négligeait de leur fournir l’argent dont on était convenu, et qui leur était
nécessaire pour leur subsistance, Léon leur fit payer les arrérages, y ajouta
de nouveaux présents, et s’engagea pour l’avenir à leur donner tous les ans trois
cents livres d’or. Il exigea seulement que, pour gage de leur fidélité, on lui
mît entre les mains Théodoric, fils de Théodomir. Ce
jeune prince entrait dans sa huitième année, et son père, dont il était chéri, ne
consentit à l’éloigner que sur les instances réitérées de Valamir. Théodoric,
qui avait reçu de la nature toutes les grâces de l’esprit et du corps, gagna
bientôt la tendresse de Léon et l’affection de toute la cour.
An. 462.
Léon avait deux filles, Ariadne,
née avant qu’il fût empereur, et Léontie, qui doit
être venue au monde la première année de son règne. En 462, Vérine lui donna un
fils, qui mourut peu de temps après. Le chagrin que causa cette perte fut
adouci par un heureux événement qui intéressait l’honneur de l’empire. Depuis
sept ans les empereurs sollicitaient Genséric de renvoyer Eudoxie, veuve de
Valentinien, et ses filles, qu’il retenait à Carthage. Il se rendit enfin cette
année aux instances de Léon, et fit partir pour Constantinople Eudoxie et sa
fille Placidie, avec un cortège honorable. L’aînée, Eudocie, qu’il donna pour
femme à son fils Hunéric, demeura en Afrique. Il aurait
fait épouser Placidie à un autre de ses fils, si elle n’eût auparavant été
fiancée à Olybre. La politique empêcha Genséric de rompre cet engagement.
Olybre, issu de la famille des Anices, et aussi
illustre par son rang dans le sénat que par sa naissance, pouvait parvenir à
l’empire d'Occident, qui changeait si souvent de maître. En lui rendant son
épouse, Genséric s’en faisait un ami, dont il tirerait dans l’occasion de
grands avantages : aussi ne cessa-t-il depuis ce temps-là de faire tous ses
efforts pour élever Olybre à l’empire; et ce fut un nouveau prétexte pour ravager
les côtes d’Italie et de Sicile. Il alléguait encore d’autres prétentions.
Léon, pour obtenir la délivrance des princesses, avait envoyé en Afrique une
partie des biens de Valentinien , qu’on avait transportés à Constantinople. C’était
un présent qu’il faisait à Hunéric pour servir de dot
à la princesse sa femme. Le roi des Vandales prétendait de plus qu’on lui remît
ce qui restait en Italie des biens paternels d’Eudocie; et, comme il avait
entre les mains Gaudence, fils d’Aétius, il exigeait aussi qu’on lui tînt
compte de l’héritage de ce général. Eudoxie, de retour à Constantinople, alla
rendre grâces au saint solitaire Daniel, aux prières duquel elle attribuait
surtout sa délivrance. Elle voulut l’engager, par les plus vives instances, à
descendre de sa colonne, lui offrant le choix d’une de ses terres, où il pourrait
en liberté mener une vie pénitente. Daniel refusa constamment les offres de
l’impératrice, qui ne put obtenir de lui que sa bénédiction. Olybre épousa
Placidie avec l'agrément de l’empereur. Eudocie vécut seize ans avec Hunéric, et lui donna un fils qui lui succéda. Mais, se
lassant de la compagnie d’un prince arien qui persécutait cruellement les
catholiques, elle s’échappa de l'Afrique par le secours d’un officier fidèle
nommé Curque, et vint passer à Jérusalem le reste de
ses jours dans les exercices de piété, à l’imitation de l'impératrice Eudoxie, son
aïeule maternelle. Elle y finit bientôt sa vie, et laissa tous ses biens aux
pauvres et à l’église de la Résurrection.
Genséric entretenait la paix avec l’empereur Léon; mais
les côtes de l’Italie étaient continuellement ravagées par ses flottes. Il se
rendit maître de la Sardaigne. Ricimer réclamait la foi du traité fait depuis
peu avec Majorien. Genséric, se prétendant libre de tout engagement depuis la
mort de ce prince, refusait de rien entendre, à moins qu’on ne lui abandonnât l’héritage
de Valentinien et d’Aétius. Il était impossible de garnir de troupes toutes les
villes exposées aux descentes des Vandales, et les Romains manquaient de
vaisseaux. Ils en demandèrent à Léon, qui s’excusa sur les traités subsistants
entre l'empire d’Orient et Genséric. Il consentit seulement à s’intéresser
auprès du roi des Vandales pour l’engager à cesser ses hostilités. A ce
dessein, il députa en Afrique le patrice Tatien, qui ne put rien gagner sur ce
prince inflexible.
Une révolution arrivée dans le nord porta sur les frontières
de l’empire un flot de barbares jusqu’alors inconnus. Des Tartares vinrent du
fond de l’Orient déplacer les Avares; ceux-ci chassèrent les Sabirs, qui,
poussés Vers l’Occident, tombèrent sur les Igours septentrionaux. Les Igours habitaient vers la source
de l’Irtis, où ils s’occupaient de la chasse des
martes zibelines, dont ils faisaient commerce avec les Romains. Forcés de
quitter leurs demeures, et divisés en trois hordes ou tribus, ils passèrent le
Volga, attaquèrent les Acatires, et les obligèrent de
reculer vers le Caucase. S’étant établis dans leur pays, et se trouvant voisins
de l’empire, il envoyèrent à Léon des ambassadeurs pour demander son alliance.
Léon fit un accueil favorable à ces députés, et les renvoya comblés de présents.
On commence à voir dans ce temps-là chez les Grecs une
sorte de dévotion bizarre, et même dangereuse, qui joignent les engagements du
siècle à ceux de la vie monastique. Gratissime,
grand-chambellan de Léon, fonda le monastère de Saint-Cyriaque à
Constantinople, et y prit lui-même l’habit de moine, sans quitter les fonctions
de sa charge. Deux ans après, Jean Vincomale, maître
des offices pendant le règne de Marcien, et consul en 453, prit l'habit dans un
autre monastère, et continua d’aller assidûment au palais, et d’assister aux
assemblées du sénat. Il retournait ensuite à sa nouvelle demeure, accompagné
d’un nombreux cortège de clients; et, quittant alors l’habit de sénateur pour
prendre la robe monastique, il s’occupait des ministères les plus vils que
l’abbé voulait lui imposer.
La Sicile s’était longtemps défendue contre les attaques
des Vandales par la valeur et la bonne conduite de Marcellin, que Majorien y avait
envoyé à la tête d’un corps considérable d’Ostrogoths qui étaient à la solde de
l’empire. Ricimer, craignant que ce généreux capitaine ne lui pardonnât jamais
la mort de ce prince, travailla sourdement à lui débaucher ses soldats.
Marcellin, instruit de ces pratiques secrètes, abandonna la Sicile; et, s’étant
embarqué avec ceux dont il connaissait la fidélité, il se relira en Dalmatie,
où il se forma un établissement indépendant des deux empires. Il s’y rendit
bientôt assez puissant pour donner de l’inquiétude à Ricimer. La révolte
d’Egidius dans la Gaule, et les incursions perpétuelles des Vandales mettaient
Ricimer hors d’état d’entreprendre une nouvelle guerre. Il eut donc recours à
Léon, qui députa Phylarque en Dalmatie pour regagner Marcellin. On ne put
calmer ses défiances, ni l’engager à se soumettre. Il promit seulement de
demeurer en paix, s’il n’était attaqué le premier.
Ricimer avait beaucoup plus à craindre du côté de la
Gaule, où tout était alors dans une étrange confusion. La jalousie d’Egidius et
d’Agrippin y excitait de grands troubles. Agrippin, né en Gaule, était depuis peu revêtu du titre de
comte. En cette qualité, il devait commander les troupes de la province.
Egidius avait cet emploi dans la Gaule depuis le commencement du règne de
Majorien, et l’on ne voit pas qu’il en ait été dépouillé; c’est ce qui jette
beaucoup d’embarras sur ce point d’histoire. Au défaut d’autres éclaircissements,
voici une conjecture qui me semble naître des circonstances. Egidius, créature
de Majorien , était suspect à Ricimer. Mais son habileté, sa hardiesse, sa
valeur, et surtout sa qualité de roi des Francs, le rendaient si redoutable,
que le ministère, tout absolu qu’il était, n’osait lui ôter le commandement.
Afin d’affaiblir sa puissance, Ricimer fit nommer comte le Gaulois Agrippin, accrédité dans le pays, et ami de Théodoric, roi
des Visigoths, non pas pour avoir seul le commandement des troupes, mais en
apparence pour seconder Egidius, partagé par d’autres soins. Egidius ne fut pas
dupe de cette artificieuse politique. Il résolut de se défaire de ce collègue
incommode; et, pour y réussir, il fit secrètement avertir Sévère qu’Agrippin trahissait l’empire, et qu’il voulait livrer aux
Visigoths ce qui restait aux Romains en-deçà de la Loire. Les liaisons d’Agrippin avec Théodoric donnaient à ce rapport une couleur
de vraisemblance. Sévère lui envoya ordre de se rendre à Rome. Agrippin, frappé de quelque défiance, faisait difficulté
d’obéir, à moins que son accusateur ne se déclarât, et que son procès ne fut
instruit selon les formes juridiques. Egidius, habile dans l’art de se
déguiser, feignit de s’intéresser vivement pour lui. Il lui protesta que ses
soupçons étaient vains; qu’il n’était point accusé, et qu’il n'avait à craindre
que le péril qu’il s’altérerait par sa désobéissance. Agrippin se laissa persuader, et se rendit à Rome, où Sévère était pour lors. Dès qu’il
fut arrivé, on s’assura de sa personne; on instruisit son procès devant le
sénat; on produisit les lettres d’Egidius; et, sans avoir été entendu dans ses
défenses, Agrippin fut condamné à mort par l’empereur,
et conduit en prison, pour y attendre l’intervalle des trente jours prescrit
par les lois. Il trouva moyen de s’évader, peut-être par la faveur de Ricimer,
qui ne voulait pas le perdre, pour ne pas servir Egidius qu’il haïssait. Agrippin s’alla cacher dans l’asile de l’église de
Saint-Pierre, sans se faire connaitre à personne. La nouvelle de son évasion
répandit l’alarme dans Rome; on publiait qu’il était retourné en Gaule pour se
joindre aux Visigoths, et se venger de l’injustice qu’il avait éprouvée. On murmurait
contre la sentence. Agrippin, auparavant déclaré
coupable sans examen par la voix publique, était alors sans examen reconnu
innocent. L’empereur, aussi inconstant que le peuple, se reprochait la
précipitation de son jugement. Agrippin, ayant appris
cet heureux changement, se découvrit et offrit de prouver son innocence. On lui
accorde toute sûreté; on le conduit au sénat devant l’empereur; il est écouté
et pleinement déchargé du crime dont on l’accusait. Ce qui aida beaucoup à sa
justification, c’est qu’on venait de recevoir la nouvelle qu’Egidius, son
accusateur, s’était lui-même révolté dans la Gaule.
Ce général, délivré d’Agrippin,
avait enfin levé le masque. Indigné de recevoir des ordres du meurtrier de Majorien
et d’un fantôme d’empereur, il avait publié des manifestes contre Sévère et
Ricimer, protestant toujours de son inviolable fidélité au service de l’empire,
et se déclarant général des troupes de la Gaule au nom du sénat et du peuple
romain. Ayant rassemblé sous ses étendards la plupart des soldats qui avoient
suivi Majorien en Espagne, il se disposait à passer en Italie, pour y détruire
l’assassin et le tyran des empereurs. Ricimer conjura cet orage en suscitant
contre lui Théodoric, par le moyen d’Agrippin, qu’il
renvoya dans la Gaule. Pour déterminer ce prince à la guerre contre Egidius, on
lui abandonna Narbonne, dont la conservation avait coûté tan de sang aux
Romains, depuis qu’ils avaient eu l’imprudence de céder l’Aquitaine aux Visigoths.
Les Bourguignons s’engagèrent aussi dans la ligue contre Egidius, et leur roi Gondiac fut honoré du titre de général des armées de
l’empire. On augmenta les états de ce prince de plusieurs villes en Savoie et
vers le Rhône. Pour ne point interrompre le fil de ces événements, je vais
rapporter de suite ce qu’on sait d'Egidius jusqu’à sa mort, qui arriva la même
année que celle de Sévère.
La cession de Narbonne attacha tellement Théodoric au
service de Sévère et de Ricimer, que ce prince est appelé par les auteurs
romains de ce temps-là le soutien et l’honneur de l’empire. Egidius, pour
résister à ce puissant ennemi, se ligua avec les Alains et les Bretons de
l’Armorique. Une troupe de pirates saxons, qui ravageaient les côtes maritimes,
se joignit à lui. Odoacre , leur chef, entra dans la Loire, remonta jusqu’à
Angers, et s’arrêta dans cette ville, qu’il défendit contre les Visigoths.
Egidius étendit ses liaisons jusqu’en Afrique; il convint avec Genséric que
celui-ci attaquerait Sévère par la Méditerranée, tandis que les Alains pénétreraient
en Italie par les Alpes rhétiques. Après ces dispositions, qui occupèrent
Egidius pendant l’hiver, il se mit en campagne; et, ayant passé la Loire, il
rencontra entre ce fleuve et le Loiret, près d’Orléans, une armée de Visigoths
commandée par Frédéric, frère de Théodoric. Il se livra une bataille où les Visigoths
furent défaits, et Frédéric y perdit la vie. Le vainqueur mit le siège devant
Chinon; mais les pluies et les orages l’ayant contraint de se retirer, il
repassa la Loire et se réserva la défense des provinces situées au nord de
cette rivière. Genséric, en exécution du traité fait avec Egidius, attaqua la
Sicile, d’où ses troupes furent repoussées. Les Alains, sous la conduite de
leur roi Béorgor, entrèrent en Italie, et
s’avancèrent jusqu’à Bergame. Ricimer, ayant marché à leur rencontre, les
défit, le 6 de février 464, dans un grand combat, où ils périrent presque tous
avec leur roi.
Les succès d’Egidius contre les Visigoths furent arrêtés
par la révolte des Francs. Sa tyrannie lui fit perdre la couronne, qu’un choix
bizarre avait placée sur sa tête. Viomade, confident
secret de Childéric, ne cherchait que l’occasion de le rétablir; et
l’imprudence duc général romain lui en facilita les moyens. S’étant rendu
maître de l’esprit du nouveau roi par des démonstrations de zèle, il ne songea
qu’à le rendre plus odieux que Childéric. Trompé par ses pernicieux
conseils, Egidius accabla les Francs d’impositions, et, sur de fausses alarmes
que lui inspirait l’artificieux courtisan, il fit mettre à mort un grand nombre
de seigneurs qui lui étaient les plus attachés, et qui avoient été les auteurs
de la révolution, vengeant lui-même Childéric sans le savoir, et écartant les
plus puissants obstacles que ce prince pouvait trouver à son retour. Ces
cruautés firent oublier les emportements du roi détrôné. Viomade allumait encore davantage l’indignation publique par les reproches secrets
qu’il faisait aux principaux de la nation. Enfin le complot fut formé : on
rappela Childéric. Tous les Francs, transportés de haine contre le tyran, et
d’ardeur pour leur prince légitime, prennent les armes. Viomade à leur tête va au-devant du roi : ils battent Egidius, s’emparent de Cologne,
où ils massacrent un grand nombre de Romains, et brûlent Trêves. Egidius se retire
à Soissons, où peu de temps après il mourut, en 465, empoisonné, selon quelques
auteurs, assassiné, selon d’autres. Quelques historiens reculent sa mort
jusqu’en 469. Ceux qui donnent huit ans à l’exil de Childéric, et qui placent
son expulsion en 458, et son retour en 465, comptent les deux années qui
commencent et qui finissent cet intervalle.
Après la mort d’Egidius, presque toute la Belgique se
soumit aux Francs. Odoacre, qui était dans Angers avec ses Saxons, à la solde
du général romain, appréhendant une révolte des habitants, se fit donner des
otages, et se rendit maître du pays. Théodoric s’appropria les villes qu’on lui
a voit engagées ou données à défendre. Il s’empara du Poitou. Les Romains
avoient dans Poitiers une garnison de Taïfales, que les Goths congédièrent. Il
ne resta aux Romains, dans la première Aquitaine, que l’Auvergne et le Berri.
Les Bretons, chassés de leur île, s’étant rendus indépendants, occupaient
presque tout le pays qui a pris leur nom. Ce qui restait d’Alains se mêla avec
eux. Syagrius, fils d’Egidius, se maintint dans Soissons pendant vingt ans,
d’abord sous le titre de général des Romains, défendant avec courage le peu de
pays qu’ils possédaient encore dans la Gaule septentrionale, et qui se réduisit
aux villes et territoires de Soissons, de Reims, de Châlons, de Sens et de
Troyes. Après la destruction de l’empire d’Occident, Syagrius prit le titre de
roi, et le conserva jusqu’à l’an 486, qu’il fut défait et mis à mort par
Clovis.
An. 465.
L’Espagne n’était
pas plus tranquille que la Gaule. Les Suèves étaient partagés entre Frumaire et Rémismond, qui,
prenant tous deux le titre de rois, ravageaient à l’envi la Lusitanie et la Tarraconaise.
Les malheureux habitants de ces contrées, n’attendant aucune assistance de
l’empire, eurent recours à Théodoric, qui, étant alors occupé en Gaule, ne put
les secourir que par des ambassades. Rémismond promettait tout, et ne tenait rien de ce qu’il avait promis. Dès que les
envoyés de Théodoric étaient sortis de sa cour, il recommençait ses ravages.
Enfin Frumaire étant mort, et tous les Suèves s’étant
réunis sous l’autorité de Rémismond, celui-ci
s’engagea par un traité solennel à laisser en paix ses voisins. Pour cimenter
cet accord, le roi des Visigoths lui donna une de ses filles en mariage. Cette
alliance ne retint pas longtemps le caractère turbulent de Rémismond.
Il amusait Théodoric en lui envoyant des ambassadeurs, et en recevoir de sa
part sans suspendre ses hostilités. Ces députations réciproques ne servirent
qu’à porter chez les Suèves la contagion de l’arianisme. Réchiaire avait établi
dans ses états la doctrine catholique. Un prêtre apostat, nommé Ajax, Gaulois
de naissance, mais qui s’était perverti à la cour de Théodoric, étant passé
chez les Suèves dans le cours de ces négociations, s’insinua dans l’esprit du
roi, et infecta de son hérésie la nation entière, qui ne revint à la croyance
orthodoxe que cent ans après, sous le règne de Théodémir.
Il semble que Léon voyait avec une stupide indifférence
la ruine prochaine de l’empire d’Occident; et l’on ne peut lui pardonner
d’avoir laissé le barbare Ricimer disposer de la pourpre impériale et gouverner
à son gré les affaires d’Italie. Les vues politiques de ce prince ne paraissent
pas avoir été fort étendues. On le voit sensiblement par le mauvais choix de
ceux qu’il approcha le plus près de sa personne. Zénon en sera bientôt une
preuve; il ne s’agit encore en cette année 463 que de Basilisque.
Quoique frère de l’impératrice Vérine, Basilisque ne
méritait que l’obscurité. Sans talents, comme sans mœurs, fourbe, avare,
ignorant, il était toutefois dévoré d’ambition, et se croyait capable de tout.
On ne reprochera pas à Léon de lui avoir conféré le consulat en 465; c’était
depuis longtemps un titre sans conséquence, une de ces dignités oisives qui ne
donnent que des préséances très propres à dédommager la vanité de ceux qui,
avec un nom illustre, méritent d’être laissés dans l’inaction. Mais on ne peut
attribuer qu’à la faiblesse de l’empereur d’avoir cette année confié à son
beau-frère le commandement des armées de Thrace. Par malheur pour l’empire, le
nouveau général eut dans cette province quelque succès de peu d’importance,
mais que Vérine et ses courtisans eurent soin de faire valoir comme de
magnifiques exploits; et, sur leur parole, Basilisque passa pour un merveilleux capitaine.
An. 464.
On aurait eu besoin dès lors d'un bon général, si le roi de
Perse n’eût pas été occupé par les Huns. Isdegerd II étant mort l’an 457, son
fils Hormisdas lui avait succédé. Pendant les quatre années qu’il régna, il fut
perpétuellement en guerre avec son frère Pérose, qui
lui disputait la couronne. Enfin Pérose, vainqueur,
monta sur le trône de Perse. C’était un prince fier et plein de valeur, mais
impétueux et téméraire. Les Huns Cidarites, nommés
aussi Euthalites et Nephtalites, qui habitaient à
l’orient de la mer Caspienne, ayant refusé de lui payer le tribut imposé par
ses prédécesseurs, il marcha contre eux, et trouva dans cette nation
belliqueuse une résistance invincible. Fatigué d’une guerre longue et
sanglante, il crut la terminer par un grossier artifice. Il envoya dire à
Concha, roi des Huns, qu’il voulait faire la paix avec lui, et que, pour gage
de sa bonne foi, il lui offrait sa sœur en mariage. Le roi de Perse était le
plus grand monarque de l’Orient; et Concha, fort honoré d’une si haute
alliance, reçut avec joie cette proposition. Pérose,
au lieu de sa sœur, lui envoya une esclave fort belle, richement parée, avec un
équipage digne de la princesse. Il n’oublia pas de recommandera cette fille un
profond secret, l’avertissant que, si la tromperie était découverte, elle ne pouvait
s’attendre qu’à périr d’une mort cruelle. La jeune esclave fut assez hardie
pour hasarder l’aventure; mais dès qu’elle fut devenue reine des Huns,
craignant avec raison que ce déguisement ne pût être longtemps caché, elle se
fit connaitre à son mari. Cette dangereuse confidence ne diminua rien de
l’amour que le prince avait conçu pour elle; il continua de la traiter comme sa
femme, et toute sa colère se tourna contre Pérose.
Résolu de se venger, il mit en œuvre à son tour une ruse moins insultante, mais
cruelle et meurtrière. Il feignit de vouloir subjuguer les barbares voisins de
ses états, et manda au roi de Perse qu’il avait assez de soldats, mais qu’il le
priait de lui prêter des capitaines. Pérose, qui comptait
sur une longue paix, lui envoya trois cents de ses meilleurs officiers.
Lorsqu’ils furent arrivés à Gorgo, nommé depuis Corcange,
près de l’Oxus, résidence du roi des Cidarites, ce
prince fit égorger les uns ; et, après avoir fait couper les mains aux autres,
il les renvoya au roi de Perse pour lui dire que c’était la juste punition de
son indigne supercherie.
La guerre s’étant rallumée avec fureur, Pérose envoya des ambassadeurs à Léon pour obtenir du
secours. Il se plaignait qu’on reçût dans l’empire un grand nombre de fugitifs
qui abandonnaient la Perse, et que les mages et les peuples de la frontière,
adorateurs du feu, fussent troublés dans l’exercice de leur religion. Il demandait
aux Romains de l’argent et des soldats pour la garde de la forteresse de Juroïpac, située près de la mer Caspienne, et qui fermait
le passage aux barbares, voisins du Volga. Il apportait pour raison que les
Romains étaient aussi intéressés que les Perses à entretenir cette barrière,
qui mettait à couvert les terres des deux états. Léon répondit que les
plaintes de Pérose n’avaient aucun fondement : qu'il
ne savait ce que c’était que ces fugitifs dont on parlait, ni que cette
prétendue persécution suscitée contre la religion des Perses; que le roi ne pouvait
raisonnablement exiger des Romains qu’ils se chargeassent de la défense d'une
forteresse située dans ses états; qu'après tout, il souhaitait que la bonne
intelligence subsistât toujours entre les Romains et les Perses, et que pour
l’entretenir il allait envoyer un ambassadeur à Pérose. Il envoya en effet le patrice Constantius, qui avait été consul en 457. Mais,
comme la réponse de Léon n’avait pas satisfait le roi de Perse, le député
attendit longtemps à Edesse que Pérose lui permît de
venir à sa cour. Ce prince était alors dans le pays des Cidarîtes.
Il manda enfin Constantius, qui vint le trouver dans les plaines de Corcange. Le roi, après l’avoir traité honorablement
pendant plusieurs jours, le congédia sans vouloir entrer avec lui dans aucun
éclaircissement. Le refus de Léon avait indisposé ce prince; ce fut la cause du
bon accueil qu’il fit aux nestoriens, chassés de l’empire. Il y avait à Edesse
une école célèbre, fondée pour les Perses, qui y venaient apprendre les
sciences et les lettres. Les maîtres de cette école, infectés des erreurs de
Nestorius, ayant été bannis de la ville avec leurs disciples, se retirèrent en
Perse. Ils trouvèrent Pérose disposé à les favoriser,
et se rendirent maîtres du siège épiscopal de Ctésiphon, dont l’évêque était
primat d’Assyrie et de Perse. Ils placèrent des nestoriens sur tous les autres
sièges de ce grand royaume, et bientôt tous les chrétiens de Perse devinrent
nestoriens. Pérose ne fut pas heureux dans celte
seconde guerre contre les Cidarites. S’étant engagé
dans des déserts, et manquant de vivres, il fut pris, et ne fut délivré qu’à la
prière de l’empereur, qui s’intéressa pour sa liberté.
On vit l’année suivante à Constantinople un terrible exemple
des emportements du peuple, qui ne sait punir qu’avec rage, et qui se rend
lui-même criminel en châtiant les crimes. Ménat,
commandant des gardes de nuit, accusé de plusieurs forfaits, était jugé dans
l’Hippodrome par le prince, assisté du sénat. Léon, dans un mouvement
d’indignation, le fit jeter au bas des degrés. Le peuple, assemblé au pied du
tribunal, se saisit de ce misérable; et, malgré les magistrats, qui furent obligés
de prendre la fuite, on le traîna par les rues, on l’écrasa à coups de pierres,
et on jeta son cadavre dans la mer. Un mois après, une légère imprudence causa
un dommage inestimable. Le soir du premier de septembre, une pauvre femme ayant
laissé une lampe allumée près d’un magasin d’étoupes dans le marché de
Constantinople, le feu se communiqua de proche en proche avec tant de violence,
qu’en quatre jours, de quatorze quartiers dont cette grande ville était
composée, huit furent entièrement détruits. La flamme se répandit dans l’espace
de cinq cents pas du midi au septentrion, et de dix-sept cent cinquante pas de
l’orient à l’occident, sans épargner les édifices les plus solides. Les
églises, les palais, les monuments publics furent la proie des flammes ainsi
que les maisons des particuliers. L’incendie ne cessa tout-à-fait qu’au bout
d’une semaine. Dans cette étendue, il ne resta que des monceaux de marbre et de
pierres mêlées de cendres et tellement confuses, qu’on ne pouvait reconnaître
l’emplacement de chaque édifice. Au milieu de cet affreux désordre, où périt
grand nombre d’habitants, Aspar signala son activité, courant de toutes parts,
donnant les ordres, portant lui-même de l’eau au travers des flammes, et
répandant l’argent pour animer la hardiesse et encourager les travaux. On
rapporte que Marcien, économe de l’église de Constantinople, sauva celle de
Sainte-Anastasie en montant sur le toit avec le livre des saints Evangiles, que
les flammes respectèrent. Léon se retira au-delà du golfe de Chrysocéras, où il demeura six mois. Il y fit construire un
port et une jetée ornée d’un portique, qui fut depuis nommée la jetée neuve.
Cette vaste ruine n’était pas encore réparée sous le règne de Zénon, dont il
nous reste une loi fort étendue sur ce qui regarde la reconstruction des
édifices de Constantinople.
Dans ce même temps Sévère mourut à Rome le quinzième
d’août, selon une ancienne chronique; mais si la date de la dernière des deux
lois qui nous restent de lui est véritable, il vivait encore le 25 de septembre.
Il avait porté la couronne impériale près de quatre ans, toujours esclave de
son ministre. Dans toute l’histoire de son règne, il n’est nommé qu’une seule
fois, à l’occasion du jugement d’Agrippin. Quelques
auteurs lui attribuent de la piété; ce qui, selon le style qui commençait alors
à s’établir, peut bien ne signifier autre chose sinon qu’il fit bâtir des
églises et qu’il dota des monastères. Le genre de sa mort n’est pas moins
ignoré que sa vie. Les uns disent qu'il mourut de maladie, les autres qu’il‘fut empoisonné par Ricimer.
An. 466.
Après la mort de Sévère, l’Occident demeura sans empereur
pendant un an et demi. Ricimer gouvernait les affaires avec une autorité que
personne n’osait lui disputer. Son nom était redoute des barbares. Les Ostrogoths,
qui avaient fait quelque mouvement pour se jeter dans le Norique, restèrent en
paix. Mais les barques des Vandales infestaient sans cesse les mers de la
Sicile et de l’Italie. Ils abordaient sur les côtes qu’ils trouvaient sans
défense, et se rembarquaient chargés de butin, sans qu’il fut possible ni de
prévenir leurs descentes, ni de les atteindre sur terre. Ricimer, à l’exemple
de Majorien, résolut d’arrêter ces brigandages dans leur source. Il équipa une
flotte à dessein de passer en Afrique; mais les vents contraires et les fréquents
orages qui survinrent cette année firent encore échouer cette entreprise.
Egidius venait de mourir dans la Gaule; Théodoric, roi
des Visigoths, ne lui survécut pas longtemps : il périt par le même crime qui
lui avait donné la couronne. Son frère Euric le fit assassiner à Toulouse, après
treize ans de règne, et prit sa place. Devenu roi par ce parricide, il envoya
des députés à Rémismond, dont il craignait la
vengeance, parce que ce prince était gendre de Théodoric. Mais le roi des
Suèves, moins sensible à ces désastres domestiques qu’occupé de ses desseins
ambitieux, ne songea qu’à endormir Euric par des ambassades, comme il avait
amusé Théodoric. Il députait de toutes parts à l’empereur Léon, à Euric, à
Genséric, et cependant il continuait ses ravages. Le projet qu’avait formé
Ricimer de passer en Afrique donnait de l’inquiétude au roi des Suèves et à
celui des Visigoths. Ils faisaient réflexion que, si Genséric était abattu,
toutes les forces romaines retomberaient sur eux. Ils rassemblèrent leurs
troupes, et il parait que, si l’expédition d’Afrique avait eu son exécution,
ils auraient favorisé Genséric. Mais, lorsqu’ils virent que cette entreprise était
sans effet, Rémismond surprit la ville de Conimbra, la détruisit, en dispersa les habitants, et ruina
tout le pays.
Léon prenait peu de part à ces mouvements. Il s’occupait
de pèlerinages et de visites qu’il allait faire au solitaire Daniel. Il lui amenait
les princes étrangers et les ambassadeurs qui se renvoient a sa cour, et tous revenaient pleins d’étonnement d’une pénitence si
extraordinaire. Le saint personnage, du haut de sa colonne, donnait à
l’empereur de salutaires conseils; mais s’il se fut permis de se mêler des
affaires de l’état, il lui eût sans doute conseillé de ne pas le visiter si
souvent, et de s’occuper davantage de l'honneur et de l’intérêt de l’empire,
qui périssait en Occident. Gobaze, qui avait cédé à
son fils le royaume de Lazique, vint à Constantinople
avec le comte Denys. Il portait le manteau royal et la tiare des Perses, et était
environné de gardes. Il avait cependant renoncé au titre de roi; et cet
appareil déplut à l'empereur, qui lui en fit faire des reproches, comme d’une
infraction du traité. Mais Gobaze sut si bien
s’insinuer dans l’esprit de Léon; il témoigna tant de respect et de zèle pour
la religion chrétienne, tant d’admiration pour Daniel, auquel Léon le
conduisit, que l’empereur le renvoya comblé d’honneurs et de présents. Le sujet
de son voyage était la guerre que les Suanes ou Zanes, établis depuis longtemps dans les montagnes qui
séparent la Colchide de l’Ibérie, faisaient aux Lazes pour quelques châteaux
que les deux nations se disputaient. Les Perses et les Ibériens avoient pris
parti pour les Zanes. Gobaze implora le secours des Romains. Comme on lui avait déjà envoyé dans une autre
occasion des troupes auxiliaires, qu’il avait été obligé de congédier faute de
pouvoir fournir à leur subsistance, il pria Léon de lui donner seulement un
général, avec la permission d’employer au besoin des troupes romaines,
cantonnées en Arménie, pays limitrophe de la Lazique,
ce qui lui fut accordé. Il parait, par le silence des historiens, que les Zanes cessèrent leurs hostilités dès qu’ils virent les
Romains prêts à secourir leurs ennemis. Léon répara et augmenta cette année la
ville de Callinique, qui fut ensuite appelée Léontopolis.
Les barbares établis le long du Danube se déchiraient
mutuellement par des guerres cruelles. Les Ostrogoths, soit que les secours
qu’ils tiraient de l’empire ne fussent pas suffisants pour leur subsistance,
soit par l’amour de la guerre et du pillage, commencèrent à ravager les pays
voisins. Ils se jetèrent d’abord sur une peuplade de Huns, nommés Satages, établis dans la Pannonie inférieure. Dengisic, le plus remuant des fils d’Attila, qui s’était
retiré au-delà du Danube, se considérant comme le chef et le défenseur de la
nation, courut au secours, et vint assiéger Basiane,
ville de Pannonie sur le Raab. Les Goths retournent aussitôt contre lui,
battent son armée, et lui font repasser le Danube en si mauvais état, que
depuis cette défaite les Huns redoutèrent les armes des Goths.
Cette victoire sur les Huns fut bientôt suivie d’une
autre que les Goths remportèrent sur les Suèves. Hunimond,
roi des Suèves de la Germanie, ayant passé le Danube, pénétra jusqu’en
Dalmatie. Il enleva sur son passage quelques troupeaux qui appartenaient aux
Ostrogoths. A son retour, pendant qu’il reposait tranquillement avec son armée
près du lac Pelso, Théodémir vint au milieu de la nuit le surprendre dans son camp, égorgea une partie des
Suèves, et fit le roi prisonnier. Le vainqueur, naturellement doux et porté à
la clémence, se contenta de lui avoir donné cette leçon : il le renvoya dans
son pays avec le reste de ses troupes. Cette générosité, qui méritait de la reconnaissance,
ne causa que du dépit au féroce Hunimond. Les
Squires, établis dans la Mœsîe, vivaient en paix avec
les Goths; il les excita à leur faire la guerre. Les Goths, qui ne s’attendaient
pas à cette nouvelle attaque, sortirent de la première bataille sans être ni
vainqueurs ni vaincus. Les deux peuples députèrent à l’empereur Léon pour lui
demander du secours. Aspar conseillait de n’aider ni les uns ni les autres, et
de laisser s’entre-détruire des barbares toujours redoutables à l’empire, lors même qu’ils en étaient amis. Léon crut devoir secourir
les plus faibles. II envoya ordre au préfet d’Illyrie de fournir des troupes
aux Squires contre les Goths. Ceux-ci, sans perdre courage, livrent une
bataille où le brave Valamir, courant de rang en rang pour animer ses soldats,
fut abattu de son cheval et percé de traits. Ce triste événement ne fit que
rendre la victoire plus complète. Les Goths, embrasés du désir de la vengeance,
redoublent leurs efforts; ils terrassent les Romains auxiliaires, et font un si
horrible massacre des Squires, qu’à peine en échappa-t-il pour conserver le nom
de la nation.
Un succès si éclatant alarma les Suèves. Leurs rois Hunimond et Alaric s’appuyèrent du secours des Sarmates,
des Gépides, des Ruges, et de ce qui restait de
Squires. A la tête d’une multitude de ces barbares, ils traversèrent le Danube.
Après la mort de Valamir, ses sujets avoient juré obéissance à son frère Théodémir, qui régnait déjà sur une partie de la Pannonie.
Ce prince, également intrépide, manda son autre frère Vidémir,
pour partager avec lui le commandement et la gloire. L’armée ennemie paraissait
innombrable, et formait un front de plus de trois lieues. Les Goths n’en furent
pas effrayés : commandés par deux rois qui donnaient à la fois l’ordre et
l'exemple, ils chargèrent l’ennemi avec tant de valeur, que bientôt cette vaste
étendue ne fut plus couverte que de monceaux de cadavres. Les Goths, ravis de
joie d’avoir une seconde fois vengé un héros cher à la nation, passèrent les
quatre années suivantes en repos; mais bien résolus de porter à leur tour au
milieu de la Germanie, la ruine et la désolation dont les Suèves étaient venus
les menacer.
Tout était en armes sur les bords du Danube. Hormidac, chef d’une troupe de Huns, ayant passé le fleuve
sur ]es glaces au fort de l’hiver, entra dans la Dace, qui séparait les deux Mœsies. Anthémius reçut ordre de marcher contre lui avec un
autre général que l’histoire ne nomme pas. Les Huns furent vaincus et obligés
de se renfermer dans Sardique. Le siège fut long; et
quoique les troupes romaines manquassent souvent de vivres, Anthémius fit
observer une si exacte discipline, que les campagnes d’alentour ne se
ressentirent point du voisinage de l’armée. Enfin les Huns, réduits à
l’extrémité, sortirent en armes, et livrèrent bataille. Ils avoient corrompu
par argent le collègue d’Anthémius; et dès le commencement du combat ce traître
passa du côté des ennemis, croyant qu’il allait entraîner avec lui la cavalerie
qu’il commandait. Personne ne le suivit, et tous les escadrons vinrent se
ranger auprès d’Anthémius, qui combattait à la tête de l’infanterie. Les Huns,
repoussés dans la ville avec un grand carnage, demandèrent à capituler: ils ne
furent reçus à composition qu’après qu’ils eurent eux-mêmes massacré le perfide
général.
Les fils d’Attila, qui régnaient aux environs du Pont-Euxin, envoyèrent dans ce même temps à Léon une ambassade.
Ils demandaient qu’on oubliât toutes les querelles passées, et qu’on rétablît
le commerce entre les Romains et les Huns comme il subsistait avant les guerres
d’Attila, en sorte que les deux peuples eussent des foires et des marchés
libres sur les bords du Danube. Cette proposition fut rejetée, Léon ne croyant
pas devoir donner aucune entrée dans ses états à une nation qui les avait
désolés avec tant de fureur. Dengisic, irrité de ce
refus, résolut de s’en venger par les armes. Il ne put engager dans la guerre
son frère Hernac, qui régnait paisiblement dans la
petite Scythie, avec le titre d’allié des Romains. Lorsqu’il se fut, avancé
avec ses troupes jusqu’au Danube, Anâgaste, qui commandait
en Thrace, se présenta sur l’autre bord, et lui envoya demander pour quelle
raison il venait attaquer les terres de l’empire. Anagaste était fils de cet Arnégiscle qui avait perdu la vie
vingt ans auparavant en combattant contre Attila. Dengisic ne daigna faire aucune réponse; mais il envoya signifier à l'empereur que, si
on ne lui donnait des terres dans l’empire et de l’argent pour payer ses
troupes, il allait apprendre aux Romains qu’il était fils d’Attila. A cette
bravade, Léon répondit, sans s’émouvoir, que les Huns obtiendraient tout de lui
quand ils le reconnaîtraient pour leur souverain. Sur cette réponse, Dengisic ne songea plus qu’à combattre. Aussi fier que son
père, il ne l’égalait pas en capacité. L’histoire ne dit pas laquelle des deux
armées passa le fleuve, et l’on ne sait si les actions de cette guerre se
passèrent en-deçà ou au-delà du Danube. A la nouvelle de l’approche des Huns, Basilisque, Ostrys, capitaine
goth fort renommé, et attaché au service d’Aspar, ainsi que les antres
officiers qui se trouvaient à la cour, allèrent joindre Anagaste pour partager la gloire de cette importante expédition. Les Huns, qui ne connaissaient
pas le pays, ce qui ferait croire que cette guerre se fit plutôt en-deçà du
Danube, s’engagèrent dans un vallon dont les Romains fermèrent toutes les
issues. Bientôt la faim les força de demander à traiter de paix. Ils offrirent
de se soumettre, pourvu qu’on leur donnât des terres. Le général leur répondit
qu’il allait consulter l’empereur. Ils répliquèrent que la faim ne pou voit
attendre ces délais, et qu’il fallait répondre sur-le-champ, ou que, tandis
qu’il leur restait encore assez de forces pour vendre bien cher leur vie, ils
en feraient usage pour mourir en gens de cœur.
Anagaste,
après avoir tenu conseil, leur déclara qu’on voulait bien leur fournir des
vivres en attendant la réponse de l’empereur, à condition qu’ils partageraient
leurs troupes selon l’ordre et la distribution des troupes romaines, en sorte
que les officiers romains seraient chargés du soin de nourrir la division qui
serait assignée à chacun. Dengisic, outre les Huns,
ses sujets naturels, avait rassemblé sous ses enseignes un grand nombre
d’aventuriers: c’étaient des Goths qui, depuis la dispersion de leur nation,
erraient dans ces contrées, et qui, ne s’étant soumis à aucun prince, vivaient
de la solde qu’ils recevaient de ceux auxquels ils engageaient leur service.
Ils formaient dans son armée un corps presque aussi nombreux que celui des
Huns. Entre les Romains était un lieutenant d’Aspar, nommé Chelcal,
Hun de naissance, mais qui, dans le désir d’avancer sa fortune, s’était
dépouillé de cette inclination naturelle que l’on conserve ordinairement en
faveur de ses compatriotes, même après les avoir quittés. C’était lui qui, dans
le conseil, avait ouvert l’avis de diviser ainsi les ennemis pour semer plus
aisément la défiance entre les Huns et les Goths, et les armer les uns contre
les autres. Chargé de fournir l’étape à une division où les Goths faisaient le
plus grand nombre, il assembla les principaux, et leur dit qu’assurément la
réponse de l'empereur serait favorable; que ce prince ne consultant que sa
bonté naturelle, leur accorderait des habitations; mais que les Huns
profiteraient seuls de sa libéralité. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que
cette nation n’entend rien à l’agriculture, et qu’elle méprise ce travail? Vous
serez leurs laboureurs et leurs esclaves; et pour eux, semblables à des
sangliers, ils dévoreront les fruits et les moissons que vous aurez arrosées de
vos sueurs. Qu'est devenue celle antipathie originaire qui séparait les deux
nations? Vos ancêtres n'ont-ils pas juré que jamais les Goths ne feraient
d'alliance avec les Huns? Le parjure a formé votre ligue; l'avilissement et la
misère en seront le fruit. Je n'ai pas oublié que je suis moi-même de la race
des Huns; mais je ne puis taire ce que me dictent la justice et la compassion
que m'inspire votre sort.
Les Goths, séduits par ce ton de bienveillance,
conviennent entre eux de se défaire des Huns, dont ils croyaient déjà voir le
bras levé sur leurs têtes. Le complot se communique secrètement à toute la
nation. Les Goths de chaque division prennent les armes en même temps, et se jettent
sur les Huns, qui, étant surpris et séparés, sont taillés en pièces avant que
d’être en état de se défendre. Pendant ce massacre, les Romains fondent sur les
deux nations, et en font un sanglant carnage. Mais les Goths, s’apercevant
qu’on ne les épargne pas, se réunissent; la fureur et la honte de se voir
trompés redoublent leurs forces; ils se font jour au travers des bataillons
ennemis, et sortent du vallon teints du sang des Huns et des Romains. On ignore
la suite de cette guerre. Dengisic échappa du
massacre; mais il fut tué deux ou trois ans après par Anagaste.
Sa tête, apportée à Constantinople pendant qu’on y célébrait les jeux du
Cirque, et plantée an bout d’une lance, servit de spectacle pendant plusieurs
jours. Ardabure fut aussi employé dans cette guerre, où l’on rapporte qu’il tua Bigèle, roi des Goths.
Si les Perses n’attaquaient pas dans ce même temps la frontière
orientale, on en avait obligation aux barbares leurs voisins. Perose, a peine délivre des mains des Cidarites,
avait recommencé la guerre contre cette nation. Pendant qu’il portait toutes
ses forces vers l’Oxus, une tribu de ces Igours dont
j’ai parlé , nommée les Saragures, après avoir
subjugué les Acatires et les autres peuples des
environs du Volga, tentèrent d’entrer dans la Perse par les Portes caspiennes.
Ce que les auteurs de ce temps-là appellent de ce nom n’est pas ce col étroit
que les anciens nommaient ainsi, entre les montagnes qui séparent la Médie du
pays des Parthes; c’est le passage resserré entre le mont Caucase et la mer
Caspienne, qu’on nommait autrefois les Portes albaniennes, et qu’on appelle
aujourd’hui le détroit de Derbend. La forteresse de Juroïpac, située au même lieu où se voit maintenant le
château de Derbend, fermait ce passage; et les Saragures, ne pouvant y pénétrer, prirent leur route par l’Ibérie,
qu’ils ravagèrent, et se répandirent dans la grande Arménie. Pérose envoya encore demander du secours à Léon, et il en
reçut la même réponse que ce prince lui a voit faite deux ans auparavant. Se
croyant méprisé de l’empereur, il saisit avec joie l’occasion de lui donner une
grande idée de sa puissance. Ayant vaincu les Cidarites,
et emporté de force une de leurs places, nommée Balaam,
il fit porter à Constantinople la nouvelle de ces succès. Ses députés
déployèrent toute la pompe des expressions orientales pour relever cette
victoire et les forces de leur maître. Leur vanité n’eut pas lieu d’être
satisfaite; Léon les congédia après les avoir écoutés avec indifférence. Il était
alors beaucoup plus occupé des inquiétudes que lui donnait Genséric, et d’un
événement qui fit un grand éclat à Constantinople.
Isocase était
un philosophe païen de la ville d’Eges en Cilicie. Il vint s’établir à Antioche, et s’y
acquit une grande réputation de science et de probité, que Pusée,
gouverneur de Syrie, après l’avoir honoré de plusieurs. dignités, lui procura
celle de questeur. Il se fit respecter par une intégrité incorruptible dans
l’administration de la justice. S’étant ensuite transporté à Constantinople, il
fut accusé d’avoir, contre les lois, sacrifié aux idoles, et tramé des complots
en faveur de l’idolâtrie, qu’on prétendait qu’il voulait rétablir. Léon,
très attentif au maintien de la religion, le fit arrêter et conduire à Chalcédoine,
pour y être jugé par Théophile, gouverneur de Bithynie. Il y avait alors à
Constantinople un homme de grand crédit, nommé Jacques, premier médecin de la
cour, et si estimé de toute la ville, que le sénat lui avait fait dresser une
statue dans les thermes de Zeuxippe, où l’on plaçait celles des hommes
illustres. Il s’était mis en possession d’en user très-librement avec
l’empereur. Lorsque le prince le mandait pour le consulter sur sa santé,
Jacques n’attendait pas sa permission pour s’asseoir devant lui; et l’on
rapporte qu’un jour les officiers, choqués de cette liberté, et toujours
délicats sur l’étiquette , ayant enlevé tous les sièges de la chambre, il
s’assit sur le lit où l’empereur était couché, disant que c’était un précepte
des anciens maîtres que le médecin n’ordonnât qu’étant assis. Il était du même
pays qu’Isocase. Alarmé du danger de son compatriote,
il alla représenter à l’empereur qu’un homme de ce mérite et de ce rang ne devait
être jugé que par le sénat et par le préfet du prétoire. Léon se rendit à ces
remontrances, et fit ramener Isocase à
Constantinople. Le sénat s’assembla dans le Zeuxippe. Pusée,
pour lors consul et préfet du prétoire, qui présidait au jugement, voyant
amener devant lui l’accusé chargé de fers comme un insigne criminel, lui dît
d’un ton de reproche: Voyez-vous, Isocase,
à quel état vous êtes réduit? Je le vois, lui repartit le
philosophe, et je n'en suis pas étonné; je suis homme, et en cette qualité
il n'est rien que je ne sois exposé à souffrir. Jugez-moi seulement avec autant
d'équité que nous avons ensemble jugé les autres. Ces paroles, prononcées
avec fermeté, frappèrent vivement le peuple assemblé en foule autour du
tribunal. On implore par une acclamation générale la justice de l’empereur; on
arrache Isocase des mains des gardes, on le porte à
la grande église, où, s’étant renfermé comme dans un asile, il fut instruit des
principes du christianisme, et reçut le baptême. L’empereur, moins irrité de
cette émeute populaire que touché de la conversion d’Isocase,
le traita comme s’il eût été absous, et le renvoya dans sa patrie. Cette année
467, on vit pendant dix jours une comète ou une nuée embrasée qui avait la
forme d’une trompette ou d’une lance. On parle aussi d’un tremblement de terre
qui se fit sentir à Ravenne.
LIVRE TRENTE-CINQUIÈME.
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HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. |